« Nous sommes en permanence dans la brume et ces quelques jours d’éclaircie n’y changeront rien », soupire le médecin urgentiste de l’hôpital Nord Franche-Comté Smaïn Djellouli, dénonçant « un énième coup d’épée dans l’eau ». Samedi 17 août, l’établissement, installé à Trévenans (Territoire de Belfort), activait un « plan blanc » pour faire face à un engorgement des urgences notamment dû aux fortes chaleurs et aux congés estivaux des soignants. Après avoir rappelé certains personnels partis en vacances, rallongé les amplitudes horaires, eu recours à l’union départementale des premiers secours 90 (UDPS 90) ou recommandé aux usagers de prendre contact avec le 15 ou un médecin traitant avant de se rendre aux urgences, la direction a annoncé lever la mobilisation vendredi 23 août.
Ce dispositif de gestion de crise qui doit « en principe être déclenché pour faire face à un afflux de patients ponctuel lié à une épidémie ou une crise sanitaire est le cinquième depuis 2023 », explique Luc Kahl, infirmier en bloc opératoire et délégué à la CGT. Selon lui, « ces pics d’activité n’ont rien d’exceptionnels, ils reposent en réalité sur des dysfonctionnements structurels et permanents ».
Jusqu’à 90 heures sur un brancard
« Nous faisons en moyenne 250 entrées par jour, pouvant même parfois atteindre les 300, et notre capacité réelle n’excède pas les 200 places », abonde l’infirmière, syndiquée à la CGT, Stéphanie Cautier, éreintée par la garde nocturne de 12 heures qu’elle vient de terminer. En attendant un lit, les patients qui requièrent une hospitalisation n’ont d’autre choix que de patienter plusieurs dizaines d’heures sur des brancards. « Quand on arrive au travail et qu’il y a 54 malades dans les couloirs, dont certains là depuis 90 heures, on se demande comment les pouvoirs publics acceptent de continuer à fonctionner comme ça », assène le médecin urgentiste Smaïn Djellouli, aussi à la CGT.
Stéphanie Cautier note que si tout le secteur de la santé est « en bout de course », la structure issue d’une récente fusion des hôpitaux de Belfort et de Montbéliard a l’un des plus mauvais ratios habitants/lits de France. En effet, elle couvre depuis 2017, à elle seule, une zone de 350 000 personnes. Le manque de lits est principalement lié à des effectifs insuffisants découlant notamment d’une baisse d’attractivité grandissante des métiers du soin. « Depuis le Covid, une centaine de lits ont été fermés à cause du manque de personnels », s’inquiète le médecin Smaïn Djellouli.
« L’hôpital public agrège tous les problèmes du secteur »
Ces contraintes humaines et pécuniaires entraînent les structures à appliquer rigoureusement les durées de séjour moyennes selon un « thésaurus », à savoir une classification des pathologies permettant de renvoyer le patient au plus vite. Même principe pour le développement de la chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire les interventions réalisées dans la journée pour une sortie programmée dès le soir. Les conséquences de ces méthodes de plus en plus expéditives ? « Les patients repartent bien souvent trop vite, et ils reviennent deux jours plus tard, avec d’autres problèmes ou des complications. Nous les appelons ”patients boomerang” », confie le médecin urgentiste, avant d’ajouter que pour lui, « c’est le serpent qui se mord la queue ».
Difficile d’entrevoir le caractère « moderne, agréable, attractif » de l’hôpital décrit par l’ex-ministre de la Santé Olivier Véran dans le livre d’or lors de l’inauguration. La preuve que des équipements à la pointe ou des locaux flambant neufs ne suffisent pas à éteindre l’incendie si les ressources humaines ne suivent pas.
Outre ces problèmes propres à l’hôpital public, d’autres secteurs en souffrance empirent la situation sanitaire. Les trois soignants s’accordent à décrire une médecine de ville exsangue dans les alentours. « Dans la région, nous manquons de places en Ehpad, d’auxiliaires de vie à domicile, de médecins traitants – les spécialistes, n’en parlons pas –, les permanences médicales, elles aussi, sont surchargées, idem pour SOS Médecins. Il en va de même pour le centre de régulation justement sollicité en renfort pendant les plans blancs, qui peine à remplir correctement sa mission faute de personnels », décrit l’infirmière Stéphanie Cautier. En Bourgogne-Franche-Comté, « 97 % des besoins » dans les spécialités en tension (médecine d’urgence, anesthésie-réanimation, gynécologie-obstétrique, pédiatrie, radiologie) sont couverts par des médecins intérimaires, selon un rapport publié en juillet par la Cour des comptes. « Nous n’étions déjà pas en capacité de répondre aux besoins des citoyens avant la fusion. Mais en continuant sur cette voie, sans solution pérenne, on va droit dans le mur », alerte l’urgentiste.
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