La démocratie, plus le président en parle moins il la pratique. C’est au nom de la défense de la démocratie qu’Emmanuel Macron a demandé par deux fois de voter pour lui au second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen. Les démocrates l’ont fait. C’est encore au nom de la démocratie qu’il a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale au soir d’un scrutin européen qui a vu l’extrême droite arriver en tête et la liste qu’il soutenait lourdement défaite. Il espérait alors soit en sortir renforcé par un sursaut républicain, soit que le RN arriverait à Matignon et hypothéquerait ses chances pour 2027. Il faut déjà avoir une drôle de conception de la démocratie pour jouer ainsi avec elle.
Mais une fois que la gauche est arrivée en tête, plus question de passer de la parole aux actes. Nommer un premier ministre issu des héritiers de Pétain était envisageable. En nommer un parmi les héritiers de Jaurès ne l’est visiblement pas.
Le président argue du fait que la gauche n’a pas de majorité pour ne pas l’appeler à Matignon. Or aucun bloc n’en dispose. Ce n’est pas non plus parce que la gauche, ou une partie d’entre elles, constituerait soi-disant un danger pour la République qu’il s’y refuse. Il s’agit de faire paravent sur les vraies raisons du refus de nommer Lucie Castets à Matignon : sauver la politique libérale et les intérêts qu’elle sert. Car si l’argument de la majorité était sincère, le président pourrait respecter les institutions en nommant la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon et attendre tranquillement que son gouvernement soit censuré. Il aurait beau jeu alors de tenter d’échafauder une grande coalition des petits intérêts. Non, ce qui fait peur au président, c’est ce que pourrait faire concrètement un gouvernement du NFP : l’augmentation du Smic, l’abrogation de la retraite à 64 ans, la taxation des superprofits ou encore des mesures immédiates pour les services publics, autant d’actes populaires dans l’opinion. Censurer le NFP serait difficile, car cela reviendrait alors à s’opposer ostensiblement aux besoins et volontés majoritaires. Le vrai risque pour Emmanuel Macron serait donc que le gouvernement dure et puisse réorienter sensiblement la politique si injuste menée depuis sept ans. C’est ce risque que ni le chef de l’État ni le patronat ne veulent prendre. Et tant pis pour la démocratie qui décidément n’est valable que lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts du capital.
Pour préserver ces derniers, le président n’hésite pas à tordre les institutions. Il joue à distiller les noms d’impétrants pour diviser et gagner du temps afin de créer les conditions que le prochain budget, préparé par un gouvernement illégitime, reste dans les canons libéraux. C’est le premier ministre démissionnaire, par ailleurs président du groupe présidentiel devenu (très) minoritaire, qui envoie les lettres de cadrage aux ministères. Une confusion institutionnelle et un scandale démocratique. Le roi s’amuse, dans une déconnexion totale de la réalité du pays dont il ne comprend ni les souffrances sociales ni le ras-le-bol politique. Or tout autre scénario que le respect des urnes et la mise en place de mesures sociales améliorant le quotidien des Français approfondira les premières et accentuera le second. Faut-il rappeler que sans le barrage républicain (initié par la gauche) le RN était proche d’obtenir une majorité absolue ? Mais une telle issue est-elle réellement une préoccupation pour l’actuel locataire de l’Élysée ?
Ce vendredi 23 août, le président devait recevoir les différentes forces politiques pour consultation. Il serait encore temps pour lui d’arrêter la politique du pire et de faire le choix de la République et de la démocratie en nommant la candidate du NFP à Matignon.