Le soleil est déjà bien haut en ce milieu de matinée du 6 août et il règne un parfum de vacances. Les structures de jeux pour enfants et adolescents du parc de la Maison de quartier de La Noue sont encore désertées. Mais ici, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’espace atelier cuisine s’active déjà. À l’entrée, des bras s’affairent autour d’un grand utilitaire blanc marqué du logo du Secours Populaire Français (SPF).
Des retraités, des habitants du coin, tous bénévoles de l’antenne du département, enfilent leurs chasubles bleues, siglés eux aussi du logo de l’association de lutte contre la pauvreté, avant de décharger le contenu, des fruits et légumes bio récupérés gratuitement auprès de différentes enseignes spécialisées de Paris et de Montreuil, la veille au soir. C’est la matière première indispensable à l’atelier du jour : comment réaliser une cuisine saine et durable anti gaspillage.
La crise sanitaire, qui a plongé une partie de la population dans la précarité alimentaire, se conjugue à une hausse des prix. Le bio semble inaccessible pour beaucoup de familles précaires. Dans ce contexte, l’association Les Cuisiniers solidaires, spécialisée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire autour de la ville bretonne de Vannes, monte plusieurs ateliers en collaboration avec le SPF Montreuil à l’occasion des JOP 2024.
Avec pour objectif l’insertion de jeunes défavorisés vannetais prêts à s’engager dans la cuisine ou la logistique et l’aide aux membres de familles précaires accompagnées localement par le SPF. À Montreuil, aujourd’hui, la mission est claire : réaliser une trentaine de repas – entrées, plats et desserts – pour l’heure du déjeuner.
« Trop de générosité ça ne fait pas de mal ! »
Sous les fanions aux couleurs de Paris 2024 et de la ville de Montreuil, le starter du jour saisit une louche en guise de micro d’annonce. Lui, c’est Jacques Cardot, 74 ans, président des Cuisiniers solidaires depuis le mois de mai. « L’objectif c’est de cuisiner tous ensemble. Les produits ne sont pas forcément magnifiques, mais vous verrez à la fin de l’atelier. J’espère que vous n’allez pas en revenir ! », lance-t-il à l’assistance.
L’homme aux cheveux blancs convainc sans mal la foule, vite répartie en quatre groupes par les bénévoles pour optimiser les forces. Sur un coin de table, deux complices en tenue de cuisinier discutent et griffonnent sur un bloc. Gilles Evennou, 58 ans, a le crâne lisse et entretenu. Derrière ses lunettes rectangulaires, il exerce comme professeur au lycée Jean Guéhenno de Vannes. « Je suis un des référents des Cuisiniers Solidaires basés dans la même ville. Le président m’a demandé d’encadrer un atelier solidaire avec un chef. J’ai dit oui. » Son comparse 43 ans, enjoué, tout en rondeur, n’est autre que Guillaume Royer, meilleur ouvrier de France. En Côte d’Or, à Vandenesse-en-Auxois, il tient son restaurant, l’Auberge de Guillaume.
Précisément là où le président des Cuisiniers solidaires a ses habitudes. « Jacques Cardot m’a demandé si ça me dirait de faire participer des jeunes défavorisés à un atelier de recyclage alimentaire des restes des JO. J’ai tout de suite été partant. C’est un très beau challenge ! » sourit le chef MOF. Pendant deux bonnes heures, les participants à l’atelier vont travailler ensemble sous la supervision blagueuse des deux experts.
Le message est clair pour le chef Royer : « Tous ces légumes récupérés, encore sains une fois triés, on peut se dire que demain ça peut être dans notre frigo. Que l’on peut aussi se faire plaisir ». Lui aussi à l’attention de l’auditoire, et conclut : « Trop de générosité ça ne fait pas de mal ! » La journée sera émaillée de moments d’échanges culturels et humains. Bref, d’éducation.
« C’est un petit peu l’éducation populaire. »
Le menu du jour a fait l’objet de négociations parfois animées mais toujours dans la bonne humeur. Gilles Evennou a notamment eu maille à partir avec Mami Mvi, la doyenne joviale de 76 ans du groupe. Sous l’approbation et l’admiration de ses consœurs, c’est elle qui a réussi à glisser sa recette de champignons inspirée par la culture culinaire de la République démocratique du Congo. Elle accompagnera celle du plat de résistance, proposée par les chefs. Résultat :
Une recette gourmande, crémeuse, avec double dose de champignons. « C’est un petit peu l’éducation populaire », explique avec conviction Catherine Deger, 67 ans, représentante du SPF 93 sur cette action. « Tout le monde a apporté ses idées, dans un échange, avec de multiples allers-retours avec les chefs pour finir par manger ensemble dans la plus grande convivialité, c’est complètement dans l’esprit du secours populaire », poursuit-elle, l’air satisfait.
Si l’atelier surfe sur la période des JO, c’est parce que le SPF en gère la billetterie solidaire, qui permet d’offrir un peu de loisir aux exclus de cet événement planétaire. Et en découvrant des participants, smartphone allumé sur le concours du javelot olympique tout en cuisinant, on en a la confirmation.
Le projet fait également partie de Vital’im, un programme d’aide alimentaire lancé par l’État et le département de la Seine-Saint-Denis géré par Action contre la faim, dont Montreuil en est la ville pilote. Depuis le mois de juillet, 450 personnes en situation de précarité bénéficient ainsi d’un chèque alimentation durable de 50 euros par mois pendant six mois.
En attendant, le SPF 93 et Les Cuisiniers solidaires ont réussi haut la main la mission du jour. Une trentaine de menus composés de salades de légumes râpés saupoudrés de chèvre et de menthe et achevés d’un succulent dessert : une brioche façon pain perdu recouverte de cerises confites et de leur coulis.
Pile poil dans les starting-blocks, le temps des cerises s’achevant mi-juillet. On repart repu, certes, mais aussi rempli d’idées nouvelles, pouvant concrètement aider au quotidien. Et comme le dit Catherine Deger, « Ce qui paraît vraiment essentiel, c’est de se saisir de toutes les actions de terrain. Elles permettent à tout un chacun de garder sa dignité et de lutter contre les pensées tristes ».
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