Le lieu était autrefois un couvent, puis une prison. Ceux qui en ont la gestion en ont gardé les réflexes. Pour pénétrer dans le Centre de documentation des Français d’Algérie (CDFA), dont la porte est toujours verrouillée, il faut déjà savoir où le trouver dans le dédale coloré du vieux centre de Perpignan. On y entre ensuite sur demande, en indiquant par interphone le motif de sa visite, au coin de la rue du Général-Derroja, du nom d’un militaire né dans la région et qui a participé à la conquête de l’Algérie, au XIXe siècle. Le décor est posé.
Bienvenue dans le temple des nostalgiques de l’Algérie française. Ici, la France coloniale expose ses reliques : cigares oranais, uniformes militaires, cahiers d’école, services à thé tout en dorures, affiches ensoleillées vantant les mérites de ce coin de paradis méditerranéen… Sur les pancartes, on lit que « coloniser, c’est peupler et mettre en valeur ». Qu’avant la conquête, il n’y avait ni routes ni hôpitaux. Que le colon a apporté l’instruction publique pour tous (en 1958, près de 85 % de la population arabe et kabyle étaient pourtant non scolarisés). Ou encore que « les recherches entreprises à partir de la colonisation ont révélé l’Algérie à elle-même », sous-entendu que les Indigènes ignoraient tout de leur propre histoire. « Il y a cette conviction chez de nombreux pieds-noirs d’avoir accompli une œuvre civilisationnelle, presque messianique, relève l’historien Alain Ruscio (»Nostalgérie », 2015). Or, il y avait une nation algérienne en gestation avant la colonisation. Preuve en est, la résistance opposée à la conquête : si l’Algérie était une terre vierge, la France n’aurait pas eu besoin de brûler des villages ou de s’accaparer des terres pour la soumettre. » Une histoire dont le CDFA ne fait nulle mention, bien sûr. Ni du statut de l’indigénat, de l’absence d’accès aux droits civiques des Arabes, des attentats terroristes de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), ou bien des tortures pendant la « bataille d’Alger ».