Le journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich et deux autres Américains ont été libérés de Russie lors d’un échange de prisonniers le 1er août 2024. Au total, 24 prisonniers, dont 12 ressortissants allemands et huit russes, ainsi que deux enfants – qui n’étaient pas prisonniers – ont été échangés à Ankara, en Turquie.
Décrit par le New York Times comme « l’échange le plus ambitieux entre la Russie et l’Occident depuis des décennies », l’accord était un accord complexe impliquant sept pays, dont les États-Unis, la Slovénie, la Turquie, la Norvège et l’Allemagne.
Certains experts ont qualifié ce type d’accord de « diplomatie des otages », reflétant une tendance croissante des pays à emprisonner des étrangers pour des motifs douteux et à utiliser leur libération potentielle comme monnaie d’échange politique pour atteindre d’autres objectifs.
Quelles règles – informelles ou non – guident ces négociations délicates et les accords qui en découlent ? Amy Lieberman, rédactrice politique à The Conversation US, s’est entretenue avec William Butler, spécialiste du droit russe et international, pour mieux comprendre cet accord surprise de libération de prisonniers.
Qu’est-ce qui vous a marqué dans cet accord ?
L’ampleur de cet échange est remarquable et il s’agit du plus grand échange de prisonniers jamais réalisé entre les États-Unis et la Russie.
Sept pays sont impliqués et 26 personnes ont été libérées, ce qui est extrêmement inhabituel. Normalement, des négociations bilatérales devraient avoir lieu pour libérer un petit nombre de personnes.
Il est important de comprendre que les accords sur les otages et les prisonniers comme celui-ci sont des exercices profondément politiques et non juridiques. Il n’existe pas de traités internationaux ni de règles internationales qui déterminent les modalités de libération des otages et des prisonniers politiques. Tous les pays concernés sont libres de conclure les accords qu’ils souhaitent, en fonction de leurs propres intérêts, au cas par cas.
La vraie question est de savoir s’il ne serait pas préférable de mettre en place un cadre juridique international permettant la libération des otages et des prisonniers politiques dans le cadre d’un ensemble de règles définies. Ces dernières années, les pays qui prennent en otage des prisonniers politiques et d’autres étrangers sont devenus plus fréquents. Une prochaine étape pourrait consister à mettre en place des accords internationaux qui institutionnaliseraient les procédures de libération des otages et des prisonniers.
Certaines personnes libérées aujourd’hui étaient détenues en Russie depuis plusieurs années. Paul Whelan y a été emprisonné pendant près de quatre ans. Quels facteurs peuvent faire avancer ces discussions ?
Il est difficile de le savoir, car ce genre de négociations se déroulent en coulisses. Les parties concernées, de toutes parts, sont soumises à des contraintes quant à ce qui peut être divulgué.
Chaque cas d’échange d’otages ou de prisonniers politiques est une histoire à part entière. Des facteurs politiques communs peuvent entrer en jeu à mesure que les pays acquièrent de l’expérience sur ce sujet et en tirent des leçons sur ce qu’il convient de faire et de dire ou de ne pas dire.
Existe-t-il d’autres types de manuels informels que les pays pourraient consulter au cours de ces négociations ?
Chaque pays dispose de son propre mécanisme interne pour gérer ce type de négociations. Mais comme ces discussions sont hautement politiques et secrètes, elles ne vont pas impliquer uniquement des fonctionnaires de niveau intermédiaire ou subalterne. Il s’agira directement des chefs d’État qui s’accorderont sur une décision particulière.
De notre côté, cela signifierait que le président, le vice-président et les hauts responsables du département d’État seraient impliqués dans les négociations.
Les États-Unis disposent également d’un mécanisme interne qui leur permet de classer par catégories les citoyens américains « injustement détenus » par d’autres pays. Il ne s’agit pas de porter un jugement de notre part sur la culpabilité ou l’innocence des Américains, mais simplement de faire intervenir en interne, en ce qui nous concerne, différentes agences et autorités gouvernementales pour accélérer la possibilité d’un échange ou d’une libération. Par exemple, lorsque la joueuse de basket-ball Brittney Griner a été arrêtée, le premier obstacle pour les partisans qui demandaient sa libération a été de persuader le gouvernement américain de la classer comme « injustement détenue ».
Le calendrier de cet accord aurait-il pu être influencé par d’autres facteurs, comme la guerre de la Russie en Ukraine ou les élections présidentielles aux États-Unis ?
Le moment choisi pour conclure un accord comme celui-ci est toujours propice aux spéculations. J’ai personnellement été intéressé lorsque j’ai appris que le procès d’Evan Gershkovich, un journaliste du Wall Street Journal, avait été avancé par le tribunal en juillet. J’ai trouvé cela inhabituel. Gershkovich a été condamné en juillet à 16 ans de prison, suite à des accusations d’espionnage pour lesquelles le gouvernement russe n’a fourni aucune preuve publique et que le gouvernement américain et l’équipe de Gershkovich ont niées.
Le lien avec la condamnation et la libération de Gershkovich reste à démontrer, mais le moment du procès peut avoir indiqué que le résultat était important pour le moment de l’accord de libération.
Le cas de Gershkovich était plus délicat que celui de Griner, que les autorités russes ont arrêtée puis détenue pour trafic de stupéfiants en mars 2022. Elle a été incarcérée et condamnée en août 2022 à neuf ans de prison pour trafic de drogue, avant que les États-Unis ne concluent un accord avec la Russie et qu’elle ne soit libérée en décembre 2022. Griner a plaidé coupable d’avoir transporté des stupéfiants en Russie.
Dans le cas de Gershkovich, nous ne connaissons pas exactement le code pénal russe en vertu duquel il a été condamné.
Existe-t-il des similitudes entre les cas de Griner et de Gershkovich ?
Il y a peut-être une raison procédurale parfaitement légitime pour que les avocats de Gershkovich demandent que la date du procès soit avancée. Mais les Russes ont été catégoriques ces derniers temps en insistant sur le fait que toute personne échangée dans le cadre d’un accord avec un autre pays doit d’abord être condamnée, plutôt que libérée avant un procès. Il n’y a aucune raison d’échanger une personne innocente – c’est-à-dire non condamnée. Griner a également été condamnée avant d’être libérée aux États-Unis. Si la personne n’a pas été condamnée, elle doit être libre de partir – il n’est pas question d’un échange.