Il est 9 heures, ce samedi 27 juillet, quand Pascal (le prénom a été modifié) change de cabine de métro. L’homme affiche des traits tirés sur son visage. À l’ouvrage depuis six heures du matin, le réveil a sonné il y a déjà bien longtemps pour ce conducteur. Mais ce n’est pas tant par le rythme stakhanoviste que lui imposent ses horaires de travail que l’employé de la RATP est tiraillé mais plutôt par des semaines à attendre les chamboulements prévus sur sa ligne avant la tenue des jeux Olympiques.
« Vendredi, c’était le bordel ici », lâche-t-il, un sourire goguenard aux lèvres. Pascal faisait en effet partie des rouages essentiels au bon déroulement du spectacle vivant qui se jouait dans la capitale le 26 juillet : il avait la lourde tâche de transporter la « famille olympique » (divers groupes de dirigeants du Mouvement olympique, dont le président et les membres du CIO) sur sa ligne 6.
Mais, pour des raisons de sécurité, la ligne a été fermée au public entre les stations Charles de Gaulle-Étoile et Trocadéro et les agents de la RATP devaient justifier d’un QR code pour se rendre dans les zones concernés. « C’est indispensable pour nous déplacer, aucun problème, mais cela est assez désagréable d’être constamment contrôlé. D’autant que cela ajoute de la lourdeur à nos pratiques », souffle Pascal du haut de son bord de commande.
Des primes inégales à la déprime
Le conducteur se montre également critique de l’organisation du travail régie par la RATP. De fait, pour le bien des jeux Olympiques, 185 km de voies sur les axes routiers autour de Paris sont réservées à la circulation des véhicules accrédités pour transporter les athlètes, les journalistes ou encore les délégations officielles ainsi que les véhicules de secours et de sécurité, les taxis, les ambulances ou les transports en commun… mais pas pour Pascal et ses collègues.
« La RATP n’a pas négocié d’accord pour que ses salariés aient accès à ces voies olympiques, confie-t-il. Je dois rajouter une demi-heure de temps à mon trajet pour me rendre au travail, soit une heure dans la journée au total que je donne gratuitement à mon patron. »
La discussion s’accompagne de mouvements machinaux. Avant chaque départ en station, le conducteur au tee-shirt rouge jette un coup d’œil dans ses rétroviseurs afin de vérifier que personne n’embarque à la dernière minute dans les wagons. Puis il appuie sur le mono-coup – un bouton sonnant le signal des fermetures des portes – plongeant son métro dans la pénombre des souterrains. Ces pratiques, Pascal les réalise déjà depuis plusieurs années mais il se serait bien vu les suspendre quelques jours pour prendre du repos à ce stade de l’été.
Seulement, bien avant le début de l’événement sportif, Paris s’est fixé l’objectif de desservir l’intégralité des sites olympiques grâce aux transports en commun. Un enjeu colossal pour Île-de-France Mobilités qui, pour répondre à ces attentes, a demandé aux salariés de la RATP de décaler leurs congés.
Une demande marquée par de longues négociations coriaces avec les syndicats au point que la CGT a déposé un préavis de grève en janvier 2024 pour la période courant du 26 juillet au 8 septembre. « Nous avons mis une énorme pression pour créer un bras de fer avec la direction », se satisfait le salarié adhérent à la CGT.
Résultat, les syndicats majoritaires – CGT et Force ouvrière – ont donné leur accord, en avril, sur le montant de primes : les conducteurs de métro et de RER pourront toucher une gratification de 1 600 euros accompagnée d’une prime « événement exceptionnel » de 44,10 euros par jour travaillé sur 12 lignes de métro et les RER A et B. En échange, les salariés n’ont pas le droit à plus de cinq absences sur la période des JO.
Mais, ombre au tableau, le dispositif ne concerne pas l’intégralité des employés mobilisés. « Les agents de station par exemple n’ont pu négocier qu’une prime de 600 euros, regrette Pascal. C’est injuste pour eux qui sont constamment en proie aux incivilités et agressions. »
Pendant ce temps-là, le métro, lui, poursuit son odyssée en dehors des souterrains offrant le spectacle de la tour Eiffel à la station Bir-Hakeim. Mais le paysage idyllique n’efface pas l’amertume du conducteur. « Cela me fait quand même un peu rire parce que, toute l’année, la direction parle de restrictions de budget sur les effectifs, sur le matériel, les augmentations de salaires. Et puis là, d’un coup, apparaissent de jolis métros, de nouvelles embauches pour aider à l’affluence voyageurs et des agents de sécurité supplémentaires dans les stations, ironise Pascal. Quand elle veut, elle peut finalement. »
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