Mardi 10 janvier 2023, bourse du travail de Paris. Les secrétaires généraux des confédérations s’apprêtent à annoncer la première riposte à la réforme des retraites. Les discussions couraient depuis plusieurs semaines.
Peu avant 20 heures, les huit patrons de syndicats se retrouvent dans une salle au rez-de-chaussée. Philippe Martinez arrive parmi les derniers. L’ex-secrétaire général de la CGT demande aux journalistes d’évacuer la salle. Provocateur, mais bon enfant, Frédéric Souillot, de FO, lui rétorque : « La bourse n’est pas qu’à toi, Philippe ! »
A l’origine, des édifices pour abriter les ouvriers attendant l’embauche
Les bourses du travail sont constitutives du mouvement ouvrier. « Le terme peut désigner le rassemblement des syndicats d’un même territoire. Ces bourses – alors au nombre de 15 – se réunissent en 1892 en une Fédération des bourses du travail de France et des colonies, que dirige dès 1895 Fernand Pelloutier », résume Danielle Tartakowsky. L’historienne a consacré un livre à ces lieux, « les Syndicats en leurs murs » (Champ Vallon, 24 euros).
En 1902, lors de son 10e congrès, la Fédération des bourses du travail vote sa transformation en section de la Confédération générale du travail (CGT). « En 1912, les bourses, comprises comme des structures syndicales, disparaissent de l’organigramme confédéral CGT pour céder la place à des unions départementales, précise la professeure émérite d’histoire contemporaine. Cependant, le terme désigne également et durablement un édifice financé par une municipalité pour abriter les ouvriers attendant l’embauche. »
L’économiste libéral Gustave de Molinari imagine, en 1844, des bourses « pour les transactions de travailleurs, ce que les bourses financières sont pour les transactions des capitalistes ». « Les bourses, apparues pour la plupart au XIXe siècle, ne s’inscrivent cependant pas dans la filiation directe de ces transactions », précise Danielle Tartakowsky.
Le tournant de 1884
Dans la France jacobine et égalitaire de la IIIe République, les bourses du travail sont une expression du municipalisme triomphant, souvent le fruit de rapports de force locaux du mouvement ouvrier. Paris est la première commune à lui emboîter le pas. Des 1875, sept conseillers municipaux formulent une première requête. « Celle-ci n’évoquait que la création d’un « vaste hall où se débattraient les questions d’offre et de demande du travail », en épousant l’approche libérale des représentants patronaux. », pondère l’historienne.
Ce projet n’aboutit pas. Il faut attendre 1884 pour que la question des bourses marque l’actualité politique. D’abord, parce que, cette année-là, la loi Waldeck-Rousseau légalise les syndicats. Ensuite, parce que le scrutin municipal de Paris est marqué par la victoire des radicaux et la percée des socialistes. « Sans la bourse du travail, l’existence des chambres syndicales sera toujours précaire. Il importe qu’elles aient des locaux et des bureaux où chacun pourra venir sans crainte d’avoir à faire des sacrifices de temps et d’argent au-dessus de ses ressources », prévient, en novembre 1886, Gustave Mesureur, président du conseil municipal.
Après plus de dix années de tergiversations, en 1897, un premier lieu dédié aux syndicats s’installe au 35, rue Jean-Jacques Rousseau, dans le quartier parisien des Halles, près de la Bourse du commerce, devenue depuis lieu d’exposition de la Fondation Pinault. « Le contexte est marqué par les crises économique et boulangiste, et les troubles qu’elles suscitent, note Danielle Tartakowsky. Le souci d’une issue rapide incite à privilégier d’abord le réemploi de locaux préexistants. » Cette bourse du travail occupe l’ancien bal de la Redoute, un lieu de réunion politique sous le second Empire.
Cinq ans plus tard, en 1892, les syndicats prennent possession de l’actuelle bourse du travail, rue du Château- d’Eau, près de la place de la République, en lieu et place du Grand Café parisien. Trois millions de francs ont été déboursés pour l’édifice, pensé par l’architecte Joseph-Antoine Bouvard. Le bâtiment est reconnaissable par ses pilastres corinthiens et l’horloge de style Renaissance qui la couronne. Le blason de la ville surplombe la pendule.
La monumentale salle Ambroise-Croizat
Sur le fronton de son portail figurent trois statues, représentant les allégories féminines du travail, de la paix et de la République. La pièce monumentale de cette bourse est sans aucun doute la salle Ambroise-Croizat. C’est dans cette dernière que l’ancien ministre du Travail a annoncé les conquis sociaux de la Libération, en 1946. « C’est une ancienne cour, aménagée et recouverte d’une verrière au début du XXe siècle », rappelle Jacques Borensztejn, responsable FO Paris et secrétaire général de l’établissement. Sur les murs, on peut apercevoir les blasons de différents corps de métier : maçonnerie, boulangerie, charpenterie, fonderie, serrurerie…
Au pupitre, le président de séance dispose d’une cloche. Derrière lui, un buste de Marianne trône. « L’affirmation de la République est un élément constitutif du mouvement ouvrier. Ce dernier s’approprie naturellement les emblèmes républicains dans la toute jeune IIIe République », poursuit le secrétaire général de la bourse.
À gauche, un buste de Jean Jaurès veille sur les débats. Le fondateur du journal l’Humanité donne d’ailleurs son nom à une salle de réunion, aux côtés d’illustres acteurs du mouvement ouvrier tels qu’Eugène Varlin, Fernand Pelloutier ou encore Léon Jouhaux.
La bourse du travail de Paris protégée par un décret de 1970
De nos jours, deux annexes, boulevard du Temple et rue de Turbigo, s’ajoutent aux locaux de la rue du Château-d’Eau. En tout, 200 syndicats d’entreprise y sont hébergés. Depuis 1970, un décret du premier ministre Jacques Chaban-Delmas confère à la bourse du travail de Paris le statut d’établissement public à caractère municipal, doté de la personnalité morale. Avec à sa tête une commission administrative composée de délégués désignés par les syndicats.
« Paris reste une exception. La gratuité de l’hébergement des unions départementales et locales des organisations syndicales par les collectivités persiste à ne reposer sur aucun texte légal, pour ne relever que de l’usage initié à la fin du XIXe siècle », insiste Danielle Tartakowsky. Pour preuve, dans un contexte de recul du syndicalisme, les bourses du travail sont toujours dans le viseur d‘exécutifs locaux de droite et d’extrême droite, avides d’effacer la mémoire ouvrière.
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