Pour la SNCF, la réussite de l’été 2024 est une épreuve olympique. Le groupe ferroviaire enchaîne certes les performances de nombre de voyageurs transportés depuis la fin des confinements dus au Covid.
Pas moins de 122 millions de passagers sont montés en voiture en 2023 (+ 4 % par rapport à 2022), dont 24 millions rien qu’en été dans les TGV, les trains régionaux n’étant pas en reste (+ 10 % au niveau national et même + 20 % en Occitanie, Paca et Pays de la Loire). Mais l’opérateur historique vise toujours plus haut, plus vite, plus fort pour 2024.
« Cet été, le niveau de trafic ferroviaire sera supérieur à celui d’un été normal », a prévenu en juin la SNCF. Le transporteur « supporteur officiel » de Paris 2024 anticipe d’accueillir « 10 millions de spectateurs et jusqu’à 15 millions de visiteurs français et internationaux », ainsi qu’une hausse de la fréquentation de 15 % en Île-de-France.
« Toute la flotte de TGV et d’Intercités sera utilisée »
Côté trains régionaux, 370 TER supplémentaires sont prévus pour desservir des villes hôtes (Bordeaux, Châteauroux, Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Nice et Saint-Étienne). L’enjeu est de taille. « L’été est la pompe à fric de la SNCF, puisqu’il lui fait alimenter le fonds de concours qui finance la régénération du réseau ferroviaire », prévient Cyril Capdevielle, du pôle revendicatif de la CGT cheminots.
À été exceptionnel, moyens exceptionnels. Le groupe SNCF a confirmé à l’Humanité que « toute la flotte de TGV et d’Intercités sera utilisée. Il n’y a pas de trains en réserve ». Un parc à flux tendu, dont l’objectif est d’absorber une demande olympique. « Nous sommes d’ores et déjà en légère augmentation de 2 % par rapport à l’été dernier avec plus de 10 millions de billets vendus à date. Il n’y a jamais eu autant de places proposées que cet été, environ 30 millions, soit 400 000 places en plus par rapport à l’été dernier. Sur les dates des JOP, nous avons vendu 20 % de billets en plus au départ ou à destination de Paris. »
Problème, la SNCF n’a jamais disposé d’aussi peu de rames de TGV. Le cabinet Trans-Missions calculait une réduction de 22 % des rames disponibles, passant de 473 en 2013 à 363 actuellement. « Le nombre de places de TGV proposées à la vente est aujourd’hui supérieur à celui d’il y a cinq ans, avec une augmentation de près de 10 %, du fait notamment de l’introduction de rames à deux niveaux et du développement de l’offre Ouigo avec des trains plus capacitaires », répond la direction de la SNCF.
Conséquences de l’ouverture à la concurrence
De son côté, Cyril Capdevielle décrypte la stratégie : « La SNCF a opté pour une politique commerciale agressive, dans un contexte d’ouverture à la concurrence. Elle a fait le choix de disposer de moins de rames, mais davantage remplies. Cela se traduit par la réduction ou l’abandon de l’offre sur les dessertes les moins rentables. »
Selon le cégétiste, « cette disponibilité du matériel fait que des opérations de maintenance sont reportées. Après les JOP et la période estivale, il y aura une surcharge d’activité dans les ateliers, d’autant que la surutilisation des rames va nécessairement mener à une usure plus importante ». Et d’ajouter : « On peut s’attendre à une baisse de l’offre après les épreuves. Sauf à compromettre la sécurité, il faudra bien entretenir ces rames. C’est l’effet pervers de la sursollicitation. »
« Comme chaque année, toutes les rames sont vérifiées et préparées en profondeur au printemps pour limiter au minimum les aléas », fait savoir la SNCF. Le groupe rappelle par ailleurs avoir commandé 115 rames de TGV M, de nouvelle génération, et prévoit une augmentation du parc Ouigo de 31,5 %. Au fait des chiffres, Jacques Baudrier, élu PCF parisien et spécialiste des transports, précise : « Alstom produit dix TGV par an. La ligne de production peut aller jusqu’à quinze. La SNCF doit en commander cinq de plus par an et demander à Alstom une nouvelle ligne de production pour sortir trente rames, et ainsi rattraper en cinq ans le nombre de TGV perdus depuis dix ans. »
Un coût social pour les agents
Vilipendés en février lors du mouvement catégoriel chez les contrôleurs, au point de voir les sénateurs LR déposer une proposition de loi visant à restreindre le droit de grève dans les transports, les agents de la SNCF seront les fers de lance de la réussite du rail cet été. En tout, 50 000 agents sont mobilisés durant les JO, dont 30 000 en Île-de-France. À cela s’ajoutent les 6 000 volontaires. « Nous avons procédé à des mobilisations occasionnelles de conducteurs sur toutes les lignes de Transilien, à la sollicitation des formateurs, ainsi qu’au renfort de conducteurs de TER et de TGV… » détaille le groupe SNCF.
Dans les faits, les agents assumeront le coût social de ce déploiement. « Des collègues ont dû renoncer à leurs congés. La direction a mis en place des mesures incitatives pour favoriser le report des congés et inciter la prise de congés avant et après les JOP », insiste Cyril Capdevielle. Des reports qui pourront advenir « jusqu’en 2025, si les agents le souhaitent », précise le groupe SNCF.
Un accord d’entreprise JO, signé par l’Unsa, SUD rail et la CFDT, prévoit bien des contreparties : une indemnité supplémentaire de 95 euros brut par journée de service complet lors des épreuves Olympiques et Paralympiques. La CGT, non-signataire, déplore un accord « inégalitaire », qui laisse sur le bas-côté « près de 100 000 cheminots » et des conditions d’accès aux primes « trop contraintes ».
Ces efforts sont réalisés dans un contexte social tendu à la SNCF. Sous la pression des syndicats, la direction a décidé, en mars, de recruter 1 100 salariés supplémentaires en CDI, en plus des 7 300 déjà prévus en 2024. « Nous sommes sceptiques. La SA SNCF voyageurs n’a réalisé que 52 % des recrutements prévus. Les métiers ne sont pas attrayants. Et les taux de démission deviennent très critiques », alerte Cyril Capdevielle.
« La SNCF manque de personnel, tant chez les conducteurs de train que chez les ouvriers de maintenance, corrobore Jacques Baudrier, administrateur PCF à Île-de-France Mobilités. Face aux refus des exécutifs régionaux et nationaux d’augmenter le versement mobilité, l’opérateur SNCF doit serrer les boulons. Les salaires sont trop bas. Et la SNCF n’arrive pas à embaucher. » Un sujet brûlant pour le futur exécutif, alors que le mandat de Jean-Pierre Farandou, l’actuel PDG de la SNCF, prend fin à l’issue des épreuves paralympiques.
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