Et maintenant qu’en pensent les électeurs ? Deux semaines après le second tour des législatives, alors que l’Assemblée nationale se recompose et qu’un nouveau gouvernement est attendu, Midi Libre prend le pouls de la population sur des lieux emblématiques de l’été : au pied des arènes de Nîmes, au Tivoli, camping municipal de Laroque au bord de l’Hérault, aux Sabines, point de départ et d’arrivée des Flixbus et Blablacar à Montpellier, sur la route du Tour de France à Sommières… Un autre regard sur la situation politique.
Depuis qu’ils ont quitté Saumur et leur Loire natale le 10 juillet pour suivre le tour de France, Patrick 70 ans, et son acolyte Émile, 77 ans, ne dérogent pas à leur rituel. Entre le passage de la caravane et celui des coureurs, l’accordéon est sorti et ils entonnent Étoile des neiges de Line Renaud.
Pour le plus grand plaisir de la France Cochonou – sponsor toujours le plus plébiscité – massée ce jour-là dans un rond-point de la bucolique ville de Sommières (Gard).
“Nous, c’est tour de France ! On s’occupe pas de politique, on pense à rien et personne parle de ça sauf pour dire : “Surtout pas Mélenchon”. Dans notre van, on n’a pas la télé”, évacuent-ils d’abord.
Pourtant, les retraités ne perdent pas une miette des soubresauts de la quête sans fin d’un Premier ministre et d’alliances qui n’aboutissent pas. Blasés. Dégoûtés même, cet ancien décontaminateur dans le nucléaire et son aîné ex plâtier-carreleur, qui résument leur vote en deux mots et à l’unisson : Le Pen.
“Pour voir si ça change les choses”, justifie “Mimile”, sourire crispé. “Mais on gagne au premier tour et là, au second, rien ? Oui, ça m’a foutu les boules ! Oui, la situation actuelle m’inquiète, mais qu’y faire ?”
Leur maigre retraite à moins de 1500 €, grevée « par le prix du gasoil et le pouvoir d’achat qui suit pas », les insupporte autant que la cacophonie parlementaire actuelle.
“Marine passe au premier tour, tu l’écartes au deuxième ?”
“Les gens ne savent plus trop où danser (sic), c’est flottant, on entend de tout, à droite comme à gauche” soupire Patrick. “Ils font ça à leur sauce, c’est pas beau et on est impuissant”.
Tout comme ils attendent pendant des heures les cyclistes, ils vont patienter sans rechigner avant de retourner aux urnes, certains de leur vote.
Joaquim, 77 ans, visage rouge au fort accent d’Alicante, mais installé à Sommières depuis 1958, prend lui aussi son mal en patiente, sous le cagnard, pour voir les coureurs. Il se marre en voyant son voisin préparer une pancarte en hommage au dernier vainqueur du Tour Vingegaard, “Allez Jonas vin du Gard”, mais cet ancien plâtrier se dit indifférent à la situation politique. Ou presque, lui aussi rumine la thématique de l’élection volée.
“Je m’en fous complètement du gouvernement à venir”, balaie celui qui, avant, votait “la gauche”, et plébiscite désormais le RN parce que ce parti pense “aux oubliés. Après, au premier tour c’est Marine qui passe et au deuxième tu l’écartes ?”.
Hubert, 86 ans, casquette vissée sur la tête, affiche la même défiance dans le rond-point. Cet ancien de la soudure renvoie tout le monde dos à dos : “la politique c’est “0-0” “, lance ce natif de Sommières, pas mécontent que le député d’extrême-droite de sa circonscription a été élu dès le premier tour.
Il blague pourtant avec cette incroyable famille camerounaise qui fait le spectacle au concours de celui qui aura le plus de goodies quand la caravane passe.
Il y a la tante Dorothée, 65 ans, sa nièce Laure dont le fils Jacques-Faustin, 13 ans, qui avait été élu jeune maire de Sommières. L’ado se passionne pour la politique, il apprécie Macron, sous l’œil attendri de ses aînées qui n’ont pas toutes le droit de vote mais n’en sont pas moins avisées sur les enjeux du moment.
“Le président gère”
“Je suis démocrate, républicaine, le président gère la situation et j’ai confiance aux Français face à la menace du RN”, sourit la doyenne venue profiter de l’ambiance du Tour qu’elle adore. Rose, cousine venue de Picardie, salue, elle, l’indispensable front républicain.
“Sans coalition, le RN aurait gagné et son programme fait peur pour nous ressortissants africains”, développe-t-elle.Les alliances comme le nouveau président de l’Assemblée, les rebondissements parti par parti, rien n’échappe à Nicole et Louis, 75 et 80 ans, anciens viticulteurs. Et s’ils opposent le secret de l’isoloir, la situation actuelle les consterne.
“C’est dangereux en plein J.O. de laisser la France dans cette situation”
“On écoute, on discute, on est dans l’attente ou le chaos, il faut pas grand-chose pour que ça explose… le Nouveau front populaire était d’accord pour les élections, là c’est comme un feu d‘artifice, c’est une marmelade… Mais voter c’est élire, pas faire barrage”, dénonce Nicole, maillot jaune en main.
Elle évoque le souci de l’insécurité comme son mari, maillot à pois récupéré à la caravane qui rappelle que “le RN ce n’est plus Jean-Marie Le Pen. C’est dangereux en plein J.O. de laisser la France dans cette situation.”
Inquiète du “repli nationaliste”
Catherine, elle, préretraitée de 62 ans, prend son mal en patiente en terrasse, bloquée à Sommières, sur la route, par les coureurs dont elle ignorait le passage.
Partisane de la France Insoumise mais souhaitant que Mélenchon s’efface, elle affiche son optimisme après avoir pris “un coup de poing dans le ventre”, quand le RN est arrivé en tête : “Les gens se sont rassemblés autour d’une large identité de gauche même si là ça patine, il faut laisser du temps au temps, mais si ça va être complexe”, analyse celle toujours plus inquiète du “repli nationaliste” de son pays.