C’est une « fanm batay » qui pourrait briguer Matignon. Soit une « combattante », en créole : une femme politique au cuir épais et au franc-parler redoutable, dont le nom émerge au Nouveau Front populaire (NFP) dans le bourbier des négociations autour du nom du futur premier ministre. Si les derniers blocages opposés par le Parti socialiste étaient levés, la gauche pourrait proposer Huguette Bello, qui dirige la Région Réunion depuis 2021, pour prendre la tête d’un futur exécutif NFP. À 73 ans, cette ancienne directrice d’école maternelle, fille d’un petit planteur et d’une femme au foyer, issue d’une fratrie de six enfants, pourrait devenir la première cheffe de gouvernement afrodescendante de l’histoire de la République, et la première originaire d’un territoire ultramarin.
Féministe, anticolonialiste et communiste
La proposition est d’abord venue du PCF, tard dans la nuit de jeudi à vendredi. Tout sauf un hasard. Huguette Bello a commencé son engagement politique à 18 ans, dans l’Union des femmes de la Réunion, principale organisation féministe de l’île, avant d’entrer à la fin des années 1970 au Parti communiste réunionnais (PCR). Catholique pratiquante qui ne rate pas la messe du samedi, elle s’est émancipée d’un milieu familial plutôt conservateur et hostile aux communistes. Ces luttes la conduisent à la rencontre de grandes figures de l’époque, comme l’épouse du président chilien Salvador Allende ou encore la militante sud-africaine Dulcie September.
À La Réunion, cette mémoire vivante des combats anticoloniaux et internationalistes, son travail au long cours contre l’oubli de l’esclavage lui valent admiration, mais aussi critiques. « On me traite de dinosaure : quelle injure aux aînés, s’emportait-elle dans les colonnes de Libération, en 2021, avec la verve indignée qui a fait son aura. Les jeunes devraient être habités par nos luttes qui ont fait l’histoire de la Réunion. »
Pugnacité et tempérament d’acier
On ne survit pas quarante ans en politique sans cette pugnacité, sans ce tempérament d’acier. « Mon franc-parler m’a sans doute joué des tours, mais je ne m’en souviens pas », balaie l’indéboulonnable Huguette Bello. Sa carrière commence en 1983 lorsqu’elle est élue conseillère régionale, aux côtés de Paul Vergès, leader du PCR, et bientôt son mentor. Un « père » politique qu’il lui faudra « tuer » plus tard, lorsque ses relations avec le Parti communiste local se tendront.
Mais auparavant, elle devient la première femme réunionnaise élue députée, en 1997, puis la première maire de Saint-Paul, avec ses 100 000 habitants au pied du volcan, en 2008. À l’Assemblée nationale, elle siège aux côtés des communistes jusqu’en 2020 au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), avant que la loi sur le cumul des mandats la contraigne à passer la main à Karine Lebon.
En bonne grâce auprès de toute la gauche
Une rupture et un envol. En 2012, alors que Paul Vergès et le PCR veulent lui retirer sa circonscription, elle s’accroche en dissidente et l’emporte contre un ancien camarade, avant de fonder son propre parti, Pour la Réunion (PLR). Une victoire complète : le PCR battu, le parti d’Huguette Bello domine désormais la vie politique insulaire, alors qu’au conseil régional, la septuagénaire entretient de bonnes relations avec les socialistes comme les écologistes. Sur le volet de la biodiversité, elle a d’ailleurs été l’autrice, en tant que députée, d’un amendement visant à inscrire « la protection des mers et des océans » dans la Constitution.
Ces dernières années, Huguette Bello a également entretenu d’excellents rapports avec la France insoumise et en particulier avec Jean-Luc Mélenchon, jusqu’à accepter de figurer comme candidate en position non éligible au bas de la liste menée par Manon Aubry aux élections européennes. La nomination de la Réunionnaise à Matignon « ferait honneur à la France », a estimé vendredi soir le fondateur de la FI. « Elle est pour la France l’image dont nous avons besoin, celle de la lutte pour la rupture, pour le féminisme et pour l’antiracisme », a ajouté Jean-Luc Mélenchon.
Une élue d’expérience, loin de la caricature de la gauche du désordre dont se repaît la droite.
En bonne grâce auprès des quatre composantes principales du NFP, Huguette Bello a aussi pour elle l’assise d’une élue d’expérience, cinq mandats de députée au compteur, et la réputation d’une présidente de région appréciée. Même son homologue socialiste de la région Occitanie, Carole Delga, affirme avoir « beaucoup d’estime » pour elle. Loin de la caricature de la gauche du désordre dont se repaît la droite. Lors de son élection en 2021 à la tête du conseil régional de l’île de l’océan Indien, son ancien président de groupe à l’Assemblée nationale, André Chassaigne, saluait « sa rigueur morale et éthique », et sa collègue Marie-George Buffet rendait hommage à « une femme élégante, au sens de sa pensée ». Pour l’ancienne vice-présidente PS de l’Assemblée nationale et ex-rapporteure générale du budget Valérie Rabault, « elle a un franc-parler qui fait du bien à la démocratie et de solides convictions. Elle sait négocier. Elle devrait donc pouvoir mettre tout le monde d’accord ».
Seule ombre au tableau : certains à gauche lui reprochent de n’avoir pas pris part au vote, en 2013, de la loi sur le mariage pour tous, au moment où les quatre autres députés ultramarins du groupe GDR s’étaient opposés au texte ou s’étaient abstenus. Comme maire de Saint-Paul, Huguette Bello a toutefois célébré le premier mariage d’un couple de femmes dans l’histoire de La Réunion, en juin 2013.
Et maintenant…
Si la gauche parvenait à un consensus sur son nom, et si Emmanuel Macron venait à accepter le jeu des institutions, le président de la République entrerait donc en cohabitation avec cette communiste réunionnaise (elle se définit toujours comme telle) qui le désignait en 2021 comme le « président des riches et des capitaines d’industrie ».
Mais cela signerait aussi l’entrée à Matignon d’une « grande républicaine », ainsi que la qualifiait Gabriel Attal début 2024 – ce qui éloignerait un peu le spectre d’une censure automatique en provenance des rangs macronistes. Gageons que le chef de l’État n’avait pas cela en tête, au moment de dissoudre l’Assemblée…
Avant de partir, une dernière chose…
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