Lors du sommet organisé à l’occasion du 75e anniversaire de l’OTAN, la guerre de la Russie contre l’Ukraine a été au centre de toutes les attentions. Il s’agit sans aucun doute du défi le plus important auquel l’OTAN est confrontée dans l’immédiat, et ses implications sont plus vastes pour le reste du monde.
Mais au-delà de la guerre en Ukraine, un défi encore plus important se profile à l’horizon. Il ne fait aucun doute que le monde assiste à une reconfiguration de l’ordre international existant. La Chine et la Russie semblent être en train de former une alliance qui sera directement opposée à l’Occident dans son ensemble.
La dernière manifestation de ce changement a été le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s’est tenu les 3 et 4 juillet à Astana, au Kazakhstan.
L’OCS trouve son origine dans le mécanisme des « Cinq de Shanghai », créé par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan en 1996. Celui-ci s’est transformé cinq ans plus tard en OCS, avec l’ajout de l’Ouzbékistan.
L’Inde et le Pakistan ont rejoint l’OCS en 2017, l’Iran en 2023 et la Biélorussie a été admise au sommet d’Astana la semaine dernière. L’Afghanistan et la Mongolie ont un statut d’observateur au sein de l’OCS. La Turquie, membre de l’OTAN, est l’un des 14 partenaires de dialogue en Asie, au Moyen-Orient et dans le Caucase du Sud.
Il y a des signes évidents que la Chine et la Russie ont l’ambition de transformer l’OCS en un contrepoids plus redoutable à l’Occident. Plutôt que de se concentrer sur les quelque 25 documents et déclarations adoptés lors du sommet, dont la plupart sont – au mieux – des déclarations d’intention, les discours et les communiqués de presse des deux principaux dirigeants expliquent mieux pourquoi l’OCS devrait être prise plus au sérieux.
Le président russe Vladimir Poutine a profité de son discours d’ouverture lors de sa rencontre avec son homologue chinois Xi Jinping en marge de l’OCS pour proclamer le succès de leur alliance. Il a déclaré : « Les relations russo-chinoises, notre partenariat global et notre coopération stratégique traversent la meilleure période de leur histoire ».
De son côté, Xi Jinping a apporté son soutien sans faille à Poutine, soulignant que la Russie et la Chine « devraient continuer à défendre l’aspiration originelle à une amitié durable… et faire des efforts inlassables pour sauvegarder nos droits et intérêts légitimes et préserver les normes fondamentales régissant les relations internationales ».
Dans son discours au sommet de l’OCS, Poutine a déclaré qu’il était convaincu qu’un « monde multipolaire était devenu une réalité ». Il a également affirmé que « l’Organisation de coopération de Shanghai et les Brics (le bloc commercial composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud) sont les principaux piliers de ce nouvel ordre mondial », ajoutant : « Ces associations sont de puissants moteurs des processus de développement mondial et de l’instauration d’une véritable multipolarité ».
Cela a été repris dans la déclaration de Xi Jinping selon laquelle « dans les nouvelles circonstances de la nouvelle ère, la vision de notre organisation est largement populaire et les États membres de l’OCS ont des amis dans le monde entier ».
M. Xi a ajouté que l’OCS devait « disposer d’un ensemble complet de mesures dans le cadre des mécanismes de coopération en matière de sécurité, car davantage de lignes de défense nous donneront davantage de protection ».
Défier l’Occident
C’est peut-être l’indication la plus claire à ce jour que les points de vue russes et chinois sur l’OCS en tant que futur contrepoids à l’OTAN commencent à converger.
D’autres signes (pas si) subtils montrent que la Russie et la Chine utilisent des outils différents pour renforcer leur position relative vis-à-vis de l’Occident. La stratégie semble être d’affaiblir l’OTAN et de créer un fossé entre les États-Unis et les membres européens. Des initiatives sont déjà en cours pour promouvoir les relations avec les États membres de l’OTAN les plus favorables à la Russie et à la Chine, comme la Hongrie et la Slovaquie.
Xi Jinping et Poutine ont tous deux mis l’accent sur l’Eurasie dans leurs déclarations officielles. Pour eux, cela signifie réduire le rôle des États-Unis dans la région.
Pour Poutine, la voie principale est « un nouveau système de garanties bilatérales et multilatérales de sécurité collective en Eurasie ». Le plan à long terme est de « supprimer progressivement la présence militaire des puissances extérieures dans la région eurasienne ». Pour Xi Jinping, la voie est davantage économique, axée sur le renforcement des liens commerciaux et des infrastructures entre la Chine et l’UE. La Chine y parviendra en promouvant son initiative « Belt and Road » et ses corridors de transport – comme il l’a fait lors de sa visite officielle au Kazakhstan à la veille du sommet du SOC.
Il n’est toutefois pas certain que Poutine et Xi réussissent à faire de l’OCS un concurrent crédible de l’OTAN en matière de sécurité. L’OCS ne dispose pas des engagements de défense collective prévus par l’article 5 de l’OTAN. Ses structures internes sont faibles et la seule tâche de sécurité institutionnalisée est la lutte contre le terrorisme, confiée à la Structure régionale antiterroriste (SCO RATS).
La principale préoccupation de l’OCS reste l’Afghanistan, un sujet qui a également été souligné lors du sommet de l’OCS par le secrétaire général de l’ONU António Guterres, qui a exhorté les dirigeants à considérer que « l’objectif central de notre système multilatéral doit être la paix ». Il a souligné que l’OCS a à la fois l’influence et le devoir de faire avancer cet objectif.
L’OCS est également en proie à des dissensions internes entre ses membres clés. L’Inde et le Pakistan restent en désaccord sur la question du Cachemire. De même, l’Inde et la Chine sont en conflit depuis longtemps, et parfois de manière violente, sur des questions frontalières. Le Premier ministre indien Narendra Modi n’était même pas présent au sommet, préférant envoyer son ministre des Affaires étrangères adresser une pique à peine voilée à ses deux voisins.
Mais l’Occident aurait tort de considérer l’OCS comme insignifiante. Elle est bien plus grande que l’OTAN, tant en termes de territoire que de population, et elle dispose d’une présence importante en Europe via la Russie et la Biélorussie. De plus, ses pays représentent 30 % du PIB mondial.
À mesure que la Chine et la Russie se rapprochent, leur influence à travers l’Eurasie va certainement croître et s’étendre – à moins que l’Occident ne s’inspire de Moscou et de Pékin et ne cherche activement à les diviser, plutôt qu’à les rapprocher toujours plus.