Consignes de vote, report de voix, front républicain à gauche comme à droite… Dans l’Hérault, la 9e circonscription offre un combat Nouveau Front populaire tendance LFI contre RN-Ciotti, illustration de la fracture nationale.
”Franchement, on sent que les choix sont faits, il n’y a pas la curiosité habituelle.” Sous le cagnard d’un été enfin arrivé, vendredi 4 juillet, Catherine, militante de gauche, distribue ses tracts pour le Nouveau front populaire (NFP), au marché de Lunel.
C’est un des quatre points stratégiques de cette 9e circonscription de l’Hérault, laboratoire local d’une fracture nationale, front républicain contre front républicain, c’est selon, où le report des voix, incertain, va être décisif.
À gauche, Nadia Belaouni, 46 ans, née au Maroc, LFI et Mélenchoniste convaincue. À droite, Charles-Henri Alloncle, 30 ans, candidat RN, venu dans les bagages d’Éric Ciotti, président des Républicains.
Au centre : la “figure” locale mais aussi de la Macronie, Patrick Vignal, arrivé troisième. Il s’est désisté et a relayé la consigne présidentielle d’aucune voix pour l’extrême-droite.
“Il faut aller au bout des choses, mes enfants sont désespérés”
“On n’a pas à nous dire pour qui voter ! Un de mes locataires est aussi venu me dire de faire attention ! Nous empêcher, c’est ne pas respecter les 30 % qui veulent le RN”, peste Françoise, 66 ans, venu d’un petit village limitrophe faire son marché.
Elle était “longtemps” socialiste, elle a fait barrage au FN en 2002, quand Jospin affrontait Jean-Marie Le Pen à la présidentielle, et elle a eu “mal au bras” quand elle a glissé le bulletin RN dans l’urne au premier tour.
“Il faut aller au bout des choses, mes enfants sont désespérés” argumente-t-elle, habitée, aussi, par une colère au relent xénophobe : “On n’est plus en France, ici.”
Juste à côté d’elle, alors que par hasard, Belaouni et Alloncle tractent à quelques mètres l’un de l’autre, Hakim, cariste de 42 ans, va rattraper son oubli du premier tour. Sur les 100 000 votants potentiels de la circonscription, l’abstention a raflé, par défaut, 40 000 voix.
“Au premier tour, j’étais un peu perdu, là c’est obligé de voter à gauche, parce que ça me fait peur ! Je suis binational”, lance-t-il en s’éloignant avec son fils.
Rose, 69 ans, le dit également haut et fort. “Oui, ça a du sens le barrage républicain !” clame cette qui avait choisi Vignal et qui s’est tâtée pour le vote blanc dimanche.
“Bardella ? Je préfère me couper les deux mains”
“Avec mon mari, on s’est dit que ça ferait deux voix de plus pour l’extrême-droite. Bardella, il n’en est pas question, je préfère me couper les deux mains !”, développe cette infirmière à la retraite d’origine Kabyle. Non, ce qui lui reste à travers la gorge, c’est Mélenchon.
Pour Didier, fonctionnaire de 54 ans, la figure du leader de LFI est rédhibitoire. Il demeure à La Grande-Motte, autre lieu clé de l’élection. Issu de la droite sociale, il a donné son suffrage à Patrick Vignal, et s’apprête, pour la première fois, à voter Rassemblement national.
“Beaucoup de gens comme moi vont voter pour la droite. Même si ça me fait mal, même si ce ne sont pas mes idées, je ne peux pas voter pour un candidat LFI, ses députés ont eu un comportement choquant à l’assemblée et puis il y a la Palestine et dire que la police tue…” justifie-t-il, autour d’un café, sur les quais de la station balnéaire.
Son front républicain, c’est donc contre l’extrême-gauche, alors qu’il avait voté Jospin en 2002…
“Le front républicain, personne n’est dupe, les gens en ont soupé”
“Ce n’était pas la même approche et le même contexte” évacue-t-il.
“Le pacte de la gauche ? Le front républicain ? Les gens en ont soupé, personne n’est dupe ! Glucksmann que j’aime bien, s’est fait jeter des cailloux pendant les européennes.”
Pour Didier, s’abstenir serait “irresponsable”. Ce n’est pas l’avis d’Anissa et son compagnon, venus de Montpellier au marché de Lunel. Ils sont encore nombreux à penser comme eux : “ça sert à rien de voter, j’avais choisi Marine, j’ai eu Macaron (sic), c’est truqué, c’est le peuple qui doit décider” s’emporte-t-elle, énervée.
Cette fameuse 9e circonscription englobe une partie de Montpellier, réservoir important de la gauche.
“Franchement de quoi on se plaint en France ?”
Dans le quartier de Port-Marianne, on y croise pourtant Lucas, Macroniste qui bascule chez Bardella. Sans “gaité de cœur” promet-il : “Si le Nouveau front populaire avait eu la majorité je serai parti vivre à Majorque. Il faut un électrochoc, vu la bérézina au gouvernement, qu’ils se taisent plutôt que de donner des consignes de vote” dit ce jeune de 30 ans.
Ses griefs : les agressions à coups de couteau, “deux fois par semaine” et, s’il n’est pas homophobe, comme tous ses copains, il ne supporte plus les non genrés, “le côté ascendant “Renard”.
Inversement, Mauguio, dernière place stratégique de cette 9e, a fortement voté RN. Mais certains résistent, sans le crier trop fort auprès du voisinage. Vignal, encore une fois, avait eu la préférence de Laurence, mais malgré son aversion pour Mélenchon, elle ira aux urnes le cœur gros : “Si on a une majorité d’extrême-droite, je vais pleurer. Je vais voter la fille de LFI, par défaut, les consignes je m’en fous… Franchement de quoi on se plaint en France et à Mauguio en particulier ? Voter RN, c’est méconnaître l’Histoire.”