Par Maryse Dumas, syndicaliste
Le 9 juin, 23 % des salariés se disant proches d’un syndicat ont voté RN, un chiffre inférieur de plus de 8 points au score finalement obtenu par Bardella. C’est ce que nous révèle le sondage « sortie des urnes » réalisé le 10 juin 2024 par l’institut Harris Interactive qui interroge les gens sur ce qu’ils et elles ont réellement voté plutôt que sur leurs intentions préalables. On savait déjà que les personnes qui se disent proches d’un syndicat sont moins abstentionnistes et votent plus à gauche que la population générale. Ils et elles votent également moins pour l’extrême droite. La plupart des syndicats se prononcent nettement contre celle-ci, notamment pour les élections législatives à venir. Mais pas tous ! FO, par exemple, refuse de se positionner. Or, l’enquête révèle que ses sympathisant.es placent le RN en tête de leur vote, à 34 %. Ceci explique sans doute cela.
D’un autre côté, l’enquête montre une tendance à la réduction du différentiel entre vote des sympathisant·es et résultat global. D’une élection européenne à l’autre, le progrès du vote RN est quasiment identique : 7 à 8 %, dans les deux cas. Dans l’électorat se disant proche de la CGT, le RN arrive en 2e position, à 24 %, derrière la FI. La progression du RN y est de 4 % par rapport à 2019, inférieure de moitié à celle engrangée au final par Bardella. On peut y voir un effet, certes insuffisant, mais néanmoins réel, des efforts de la direction de la CGT et de son collectif militant pour alerter, avancer des arguments, développer des formations, adopter des positionnements clairs, prendre des initiatives. Mais on ne peut ignorer qu’une part du résultat du RN tient à ce qu’est devenu le travail aujourd’hui. Les politiques d’individualisation produisent davantage de souffrance et de rancœur que d’estime de soi et de solidarité. Elles rendent les salarié·es plus perméables à la recherche de boucs émissaires qu’à la volonté de luttes communes contre l’exploitation. La question du travail – de ce qu’on y fait, de comment on y est traité·e, du sens qu’on lui donne – doit être considérée comme une question politique majeure.
« Le social forme l’ossature du sociétal », disait déjà le sociologue Robert Castel en 1995. C’est là, d’abord, que le libéralisme a gagné, entraînant dans son sillage l’extrême droite qui lui est tout à fait compatible. C’est là qu’il faut le terrasser. L’enquête « sortie des urnes » montre aussi le fort recul des listes macroniennes parmi celles et ceux qui se disent proches d’un syndicat : en tête à 21 % dans leurs votes en 2019, elles chutent à 11 % en 2024, plus bas que leur score final de 14,6 %. Les sympathisant·es CFDT avaient voté à 39 % pour la liste de la majorité présidentielle en 2019, ils et elles n’étaient plus que 22 % à le faire en 2024. Parallèlement, le vote RN dans cet électorat passe de 8 % à 22 % sur les mêmes échéances. Quant aux sympathisant·es FSU, leur vote en faveur du RN passe de 2 % en 2019 à 19 % le 9 juin dernier. Progression spectaculaire dont la crise profonde de l’éducation, approfondie par la politique macronienne, est sans doute une cause majeure. Globalement, cette enquête conforte l’idée de l’importance et de l’impact de l’action syndicale sur les idées. Le RN, qui fait des syndicats une de ses premières cibles, l’a bien compris. Raison de plus pour que le syndicalisme s’engage fortement dans les échéances décisives des prochaines législatives.