Il arrive parfois, dans le magma des éléments de langage et de la communication millimétrée, qu’une parole trahisse un discours. Ce 12 juin à Paris, Emmanuel Macron, qui n’a que le terme de « clarification » à la bouche, laisse échapper le fin mot de sa stratégie : « Si les gens ont peur des extrêmes, il y aura un sursaut. » Voici la stratégie du président de la République pour remporter les législatives qu’il a convoquées le 30 juin et le 7 juillet. Faire « peur » avec une possible victoire de l’extrême droite et faire peur encore une fois avec une gauche qu’il n’a cessé de qualifier « d’extrême gauche » dans son discours.
Le bel écrin du Pavillon Cambon Capucines, où le chef de l’État a convié la presse, peine à étouffer l’ambiance de fin de règne qui traverse la majorité, désormais lancée dans un « ça passe ou ça casse » aussi périlleux qu’irresponsable. Debout face aux journalistes, le président se défend d’être en campagne – il ne débattra pas avec Marine Le Pen, comme envisagé un temps, et ne mettra pas sa démission dans la balance en cas d’échec.
Il n’a pourtant échappé à personne que l’événement est organisé par les équipes de Renaissance, et non le service de presse de l’Élysée. Tout le monde a aussi noté qu’Édouard Philippe ne s’est pas déplacé. L’ex-premier ministre a déclaré, la veille, qu’il eût été « sain » que le chef de l’État se mît en retrait.
Le pari d’un vote de résignation
Sur quoi mise donc Emmanuel Macron pour se sortir du piège des législatives anticipées qu’il a lui-même tendu en dissolvant l’Assemblée nationale ? Sur un vote par défaut, convaincu que les électeurs pris de vitesse ne voudront ni d’un gouvernement RN, ni de la gauche. Le chef de l’État espère s’imposer comme le ticket gagnant pour le retour à l’ordre, alors que le chaos de ces derniers jours est de son seul fait du prince.
Renvoyés dos à dos, le RN et le Front populaire de la gauche « ne seront pas en capacité d’appliquer un quelconque programme », martèle-t-il, quand sa majorité aurait, elle, montré son « sérieux » durant ces sept dernières années. Il paraît évident que le président ne vise pas un vote d’adhésion, mais un vote de résignation autour du bloc macroniste, qui revendique le monopole de la crédibilité – ce qui revient à renier l’idée même d’alternance possible, donc de démocratie.
Et puisqu’il faut effrayer l’électeur, le chef de l’État s’attelle à démonter ses deux adversaires, jetés dans un même sac à la porte de la République. Le nouveau Front populaire, d’abord, dépeint comme une « alliance baroque et indécente » qui « fait se retourner Léon Blum dans sa tombe » : un accord « contre-nature » de la gauche républicaine avec « une extrême gauche coupable d’antisémitisme, de communautarisme et d’antiparlementarisme ».
Tant qu’à faire, Emmanuel Macron impute pour partie le choix de la dissolution au « comportement » des députés de la FI qui auraient « rendu l’action publique moins lisible ». Tout en concédant que le rapport de force à l’Assemblée issu des législatives 2022 « n’a pas empêché d’agir utilement pour le pays ». Comprendra qui pourra – mais qui l’écoute encore ? Au même moment, la gauche annonçait un accord sur le partage des circonscriptions, comme pour répondre à distance à cette nouvelle tentative de fracturer le camp progressiste.
Pas de soutien à la gauche en cas de duel contre le RN
Puis, vient le RN, renvoyé à ses ambiguïtés avec la Russie, sa « volonté de répondre à l’insécurité par la sortie de l’État de droit et de trier les bons Français des mauvais ». Un grand péril, insiste le président, mais pas plus que la gauche, à ses yeux.
Emmanuel Macron refuse ainsi de dire s’il appellera à voter à gauche au second tour en cas de duel contre l’extrême droite. Il n’a pas encore officialisé le fameux « ni, ni », mais son discours laisse peu de suspense. Interrogé sur le trait d’égalité qu’il tire de fait entre FI et RN, le locataire de l’Élysée répond : « Un signe égal ne veut rien dire, mais ils ne sont pas républicains. Il y a de l’indignité dans les deux camps. »
Côté presse, les questions fusent sur l’hypothèse d’une cohabitation, avec Jordan Bardella en successeur de Gabriel Attal. Emmanuel Macron tempête alors contre les journalistes qui ne sauraient que « contempler le désastre » alors que lui, « l’indécrottable optimiste », ne cède rien à « l’esprit de défaite ». Soit les mêmes éléments de langage qu’en 2022, mais aussi qu’en 2024, il y a à peine quelques semaines, avant la gifle des européennes – preuve que la méthode Coué a ses limites.
Le disque macroniste tourne en boucle sans se soucier de l’évolution du rapport de force et des 6 millions de voix perdues en deux ans à peine. Emmanuel Macron ressort même sa vieille carte du dépassement des clivages. Qu’importe si les alliances nouées à gauche réduisent son champ des possibles, le président de la République appelle quand même à « une fédération de projets » qui réunirait « les gens de bonne volonté ».
À savoir ? « Des sociaux-démocrates, des radicaux, des écologistes, des démocrates chrétiens, des gaullistes et beaucoup de nos compatriotes et responsables politiques qui ne se reconnaissent pas dans la fièvre extrémiste. »
Un discours plus à droite que jamais
L’initiative est censée cacher une « nouvelle méthode », qu’il oppose « aux bricolages d’appareil » dans le « respect » de la diversité politique : « Ce n’est pas « qui m’aime me suive », assure Emmanuel Macron. Mais tisser des compromis pour faire avancer le pays. » Derrière cette promesse de majorité élargie aux débouchés flous, il y a surtout une offre de service.
Le président propose en creux de ne pas présenter de candidats macronistes face à d’éventuels dissidents à gauche et à droite, tout en leur garantissant que cela « ne les obligera pas à rentrer dans la majorité ». Avant de tenter une œillade vers l’électorat de centre gauche, en mentant au passage sur l’hypothétique futur locataire de Matignon : « Comment les électeurs de Raphaël Glucksmann peuvent-ils soutenir une alliance qui, de fait, porterait Jean-Luc Mélenchon à être premier ministre ? »
La question en appelle une autre : comment les électeurs de gauche pourraient voter pour la Macronie avec un programme qui ne bouge pas d’un pouce, si ce n’est sur sa droite ? Car les marqueurs révélés par le chef de l’État confirment seulement son inflexion conservatrice. Qu’on en juge : le président reprend l’expression d’extrême droite de « France Orange mécanique ».
Dès le début de sa prise de parole, il promet de « réduire l’immigration illégale » et vante « la reprise en main par l’État et le meilleur contrôle de la question des mineurs non accompagnés ». Il souhaite opposer « plus de fermeté » à la « montée de la violence des mineurs qui mine la cohésion nationale ». Et prône carrément l’interdiction du portable avant 11 ans et des réseaux sociaux avant 15 ans. « Le fascisme est à nos portes et il nous parle d’écrans. Cet homme est un fake permanent », a réagi l’écologiste Sandrine Rousseau, sur X.
Ce n’est pas la seule annonce qui semble hors-sol dans le contexte actuel de crise profonde. Le chef de l’État a ainsi esquissé les contours d’une nouvelle réforme territoriale – suppression d’un échelon et retour possible, au cas par cas, aux anciennes régions –, dont on se demande bien quel électeur elle est susceptible d’émoustiller dans une campagne aussi rapide.
Pour le reste, les cases du bingo macroniste ont été cochées, entre promesses recyclées et autosatisfaction : « Le travail doit mieux payer », « les impôts n’ont jamais autant baissé », « nous n’avons jamais autant investi dans les services publics », « nous devons continuer à faire des économies ». Pour seul regret, le fait de n’avoir pas encore su convaincre sur la question de l’insécurité : « Ça prend du temps quand on veut mieux protéger nos compatriotes », juge-t-il. Cela prend moins de temps pour augmenter le Smic, mais ça, le président n’en parlera pas.
Ce même Emmanuel Macron qui plaide le temps long a donc trois semaines pour convaincre, avec une feuille de route qui satisfait de moins en moins de monde depuis sept ans. Cela paraît insensé, puisque son coup de poker met le RN aux portes du pouvoir. « Emmanuel Macron peut pérorer autant qu’il veut, il est disqualifié pour incarner un quelconque rempart à l’extrême droite. Une seule alternative : le Front populaire », résume le porte-parole du PCF, Ian Brossat.