Chirurgien engagé en faveur de l’avortement, porteur de valises du FLN, militant de la cause palestinienne jusqu’à la dernière heure, historien autodidacte et passionné de la Révolution française, amoureux de Paris et de la littérature : avec Éric Hazan, mort le 6 juin, à 87 ans, disparaît une figure pionnière de l’édition indépendante marquée à l’extrême gauche.
Né en 1936 dans une famille bourgeoise de Neuilly-sur-Seine, d’un père égyptien fils de libraire et d’une mère palestinienne venue de Roumanie, tous deux juifs, Éric Hazan doit rapidement fuir la région parisienne avec sa famille pour se réfugier à Marseille puis à Antibes, où ils vivent dans la clandestinité.
N’ayant jamais fréquenté la synagogue, il se sent pourtant renvoyé à son identité juive et mis à l’écart du reste des Français : « La France, c’est pas ma mère », déclarait-il ainsi en 2021. Dès l’adolescence, au contact de ses camarades du lycée Louis-le-Grand, à Paris, il s’éveille au communisme, adhérera au parti, puis rendra sa carte, déçu par le dévoiement stalinien d’un mot selon lui resté « parfait ».
La médecine, puis l’écriture et l’édition
S’il rêve d’être historien, son père choisit pour lui une autre voie : ce sera la médecine. Il devient chirurgien cardiaque. Son poste de chef de service à Laennec ne l’empêche pas de s’engager : il mène son premier combat en faveur de l’indépendance algérienne. Des valises de billets transitent alors par son appartement.
Il sera de toutes les luttes : en 1973, devant les caméras de l’ORTF, il est l’un des premiers médecins à affirmer publiquement pratiquer des avortements, acte qui tombe encore sous le coup de la loi. En 1975, aux premières heures de la guerre civile libanaise, il se rend sur place pour mettre sa compétence médicale au service de la population.
Au mitan d’une existence déjà riche, en 1983, Éric Hazan décide, à 47 ans, d’abandonner la médecine et de reprendre la maison d’édition familiale : il publie alors des livres d’art, comme les photos du vieux Paris de Marville, qui marquent déjà son attachement si particulier à la capitale. En difficulté financière, il est contraint de revendre l’affaire à Hachette en 1992 : mais, à plus de 60 ans, en 1998, il fonde la Fabrique, maison indépendante revendiquée d’extrême gauche qui fera bien des émules.
« Mes livres sont des armes »
Éric Hazan
Il s’oriente alors vers la publication d’ouvrages politiques qui vont de l’anarchisme au communisme, en passant par le socialisme utopique et le féminisme : Charles Fourier, Auguste Blanqui, Walter Benjamin et Karl Marx y côtoient Angela Davis, Judith Butler, André Schiffrin (qu’il traduit lui-même et contribue à faire connaître en France), Silvia Federici, Alain Badiou, Frédéric Lordon ou encore Jacques Rancière.
« Mes livres sont des armes », se plaît-il à répéter. C’est en publiant le pamphlet du Comité invisible, L’insurrection qui vient, en 2007, qu’Éric Hazan fait véritablement connaître sa maison d’édition : il prend ainsi la défense de la communauté libertaire accusée de terrorisme dans l’affaire de Tarnac, fiasco politique et judiciaire pour le sarkozysme, mais coup de publicité inespéré. Éditeur parfois provocateur, il le sera même jusqu’à la polémique, en apportant son soutien à la publication, en 2016, de l’ouvrage programmatique d’Houria Bouteldja, les Blancs, les Juifs et nous, accusé d’antisémitisme.
En parallèle, il s’essaie à l’écriture : l’Invention de Paris, en 2002, se décline en forme de déambulation savante dans les rues de la ville, à la manière de Louis-Sébastien Mercier. Il voit dans la capitale ce qu’elle a été « pendant plus de deux siècles : le grand champ de bataille de la guerre civile en France entre aristocrates et sans-culottes » (Paris sous tension, 2011).
Il en retient aussi que, « si certains quartiers rive gauche et à l’ouest sont désormais figés par un embourgeoisement achevé, d’autres, au nord et à l’est, demeurent toujours grouillants de vie, de mélanges, de colères et de parfums » (le Tumulte de Paris, 2021). Il y redécouvre à la fois l’histoire, son amour de jeunesse et la littérature, en particulier Balzac : dans un entretien à l’Humanité, en 2018, il s’identifiait ainsi à sa « flânerie » visionnaire et à son art de la rue.
L’histoire, quant à elle, a continué jusqu’au bout de le passionner. Son Histoire de la Révolution française, parue en 2012, ne se voulait pas objective, mais attentive aux « moments problématiques », à la langue, et peut-être même source « d’enthousiasme révolutionnaire ».
Car c’est bien la révolte qui l’a intéressé plus que tout, « ces moments de bonheur où l’on se parle, où l’on s’embrasse, où l’on s’organise, où le peuple insurgé montre une capacité créatrice que personne n’avait imaginée ». Et c’est l’histoire qui lui a offert les outils pour en penser la dynamique, « l’instant décisif », comme il le martelait en citant Cartier-Bresson.
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