Bienvenue en Absurdie. L’Union européenne (UE) pourrait être une force pour développer les services publics, financer la transition écologique et la formation. C’est tout l’inverse. De par sa construction libérale, l’UE impose, avec le pacte de stabilité, deux règles absurdes : un État ne peut afficher un déficit et une dette publique supérieurs respectivement à 3 % et 60 % de son PIB.
Ces plafonds figurent dans le traité de Maastricht, approuvé en France par référendum en 1992. À l’époque, le PCF était la seule force parlementaire à s’y opposer. Les socialistes, les Verts, l’UDF et la direction du RPR s’étaient prononcés pour le oui.
Cette règle des 3 % n’est pas celle d’un bon père de famille qui gère correctement ses deniers. Elle est une arme contre les services publics, car elle s’accompagne de la procédure du « semestre européen » pour obliger les États hors-la-loi à rentrer dans le rang : ces derniers s’engagent auprès de la Commission à procéder à des coupes dans les services publics et prestations sociales. Ainsi, la réforme des retraites était au cœur du Programme national de réforme français.
La gauche veut faire sauter ce verrou austéritaire
L’unanimité autour de ces règles n’est plus de mise. À gauche, tous les partis souhaitent relâcher le corset. Remettre en cause la règle des 3 %, c’est préserver les services publics et redonner des marges de manœuvre démocratiques aux États. C’est aussi se donner les moyens de financer la transition climatique.
Pour l’Hexagone, les besoins sont, selon un rapport de France Stratégie de mai 2023, de 2,3 % du PIB, soit 66 milliards d’euros annuels jusqu’en 2030. Or, en ligne avec les demandes de Bruxelles, la nouvelle trajectoire budgétaire édictée en février dernier par le gouvernement de Gabriel Attal a conduit à réduire d’un milliard d’euros annuels les fonds cruciaux pour la rénovation énergétique des logements.
Aux européennes, la liste de Raphaël Glucksmann (Place publique) souhaite l’instauration de « règles climatiques » qui poussent les États à investir « dans la transition écologique » à hauteur de 2 % du PIB, en « excluant les dépenses vertes et justes du calcul de déficit excessif ».
Les communistes, avec Léon Deffontaines, proposent de « remplacer le pacte budgétaire, le “semestre européen”, et le traité de coordination, de stabilité et de gouvernance (TSCG) par un pacte social et démocratique de développement soutenable. À charge pour celui-ci de permettre le financement d’une nouvelle industrialisation, le développement des services publics, et la mise en œuvre d’une écologie populaire ».
Mettre fin à la règle des 3 % appelle à une autre construction européenne. Cette règle n’est pas tombée du chapeau. En 1992, elle a servi à convaincre les Allemands, pétrifiés par le spectre de l’inflation, qu’au Mark fort succéderait un euro fort, la hausse des prix pouvant rogner les revenus du capital. Par ailleurs, ce « frein à dette » est un moyen pour les gouvernements dits « frugaux » (Allemagne, Pays-Bas, Finlande, etc.) d’éviter une « Europe des transferts », une UE où les pays les plus riches aident ceux plus pauvres.
Une règle balayée en temps de crise
En réalité, cette conception est déjà battue en brèche. Depuis qu’il est en vigueur, le pacte de stabilité n’est pas vraiment respecté. Jamais la France n’est passée sous la barre des 3 % depuis… 2008, et le gouvernement ne prévoit de respecter la règle qu’en 2027. En 2023, le déficit était supérieur à 3 % du PIB dans 11 États sur 27. Après la crise financière de 2008, pendant celle du Covid après 2020, les gouvernements se sont accordés pour déroger aux règles. En mai 2020, un plan de relance européen, sous la forme d’un emprunt commun de 750 milliards d’euros, NextGenerationEu, a même été créé pour venir en aide aux États.
Toutefois, supprimer la règle des 3 % ne protégerait pas des marchés financiers et de leurs taux d’intérêt usuriers. Cela appelle à un autre mode de financement de la dette, notamment en utilisant le pouvoir de création monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Ce qu’a commencé à faire cette dernière, après la crise de 2008, sous l’impulsion de son gouverneur de l’époque, Mario Draghi, dans l’objectif de sauver l’euro « quoi qu’il en coûte ».
Le 17 mai, lors d’une réunion publique à Antraigues, plusieurs dizaines de militants, l’économiste communiste Frédéric Boccara, le maire socialiste de la ville Gilles Doz, des syndicalistes ont, pour nourrir le débat, lancé un appel, publié dans l’Humanité du 5 juin, pour « un fonds européen de développement solidaire des services publics, financé par la création monétaire de la BCE, finançant à 0 % les États de toute l’Union européenne, s’ils développent l’emploi et la formation dans leurs services publics ».