Le scrutin du 9 juin, la campagne de la tête de liste socialiste, l’importance de l’UE pour la région Occitanie qu’elle préside : Carole Delga s’est confiée face aux rédactions du groupe Dépêche.
La campagne des Européennes est marquée par une constante : un Rassemblement national au plus haut dans les sondages. Qu’est-ce que cela vous inspire à une semaine du vote ?
Ce ne sont que des sondages, mais il est indéniable que l’extrême droite progresse dans notre pays depuis plusieurs mois, voire depuis plusieurs années. Quand un peuple ne croit plus en son avenir, quand il ne croit plus en la politique, il exprime sa colère et sa protestation en se tournant vers l’extrême droite.
Il faut y voir la démonstration d’un désespoir, d’un sentiment d’abandon très fort chez une majorité des Français.
À qui la faute ?
La situation actuelle est la conséquence des politiques très injustes menées par Emmanuel Macron et aux inégalités qui ne cessent de se creuser dans le pays. Je pense à la réforme des retraites ou, plus près de nous, la réforme de l’Assurance chômage qui vient encore taper sur les plus précaires.
Et puis, il y a le comportement du Président lui-même qui est vertigineux d’irresponsabilité en réclamant un débat avec Marine Le Pen, au lendemain de celui entre Gabriel Attal et Jordan Bardella. Comment ne pas y voir une institutionnalisation de l’extrême droite et, de fait, cela décrédibilise la République.
Pensez donc : Jordan Bardella, qui est une tête de liste parmi 37 autres, a été amené au niveau du Premier ministre. C’est une faute lourde de la macronie. Et elle fait suite à la victoire idéologique qui a été donnée à l’extrême droite avec la loi immigration et la préférence nationale. C’est terrible d’aimer passionnément la République et de voir que le plus haut responsable du pays joue avec elle par cynisme et par excès narcissique.
Raphaël Glucksman a le vent en poupe à l’occasion de ces élections européennes, à quoi attribuez-vous ce succès ?
À la clarté de ses positions. La clarté et la sincérité sont les conditions premières, les Français en ont besoin. Et à gauche, il est le seul qui parle de l’Europe et de sa souveraineté.
Il semble même faire consensus au PS…
Espérons que ça continue.
Doit-il jouer un rôle au niveau national ?
On aura cette discussion après les Européennes. Là, il faut rester sur cette élection.
Son bon score dimanche prochain pourrait définitivement enterrer la Nupes, et faire émerger une nouvelle gauche.Quelle en serait votre définition ?
Pour moi, la gauche est forcément républicaine, universaliste et humaniste. Elle ne peut pas être communautariste. Il y a des fondamentaux, c’est la question républicaine ou alors on sombre dans le communautarisme.
La France insoumise a introduit la question palestinienne dans cette campagne. Faut-il reconnaître un État de Palestine ?
Oui, il faut reconnaître la Palestine comme un état. L’initiative de Pedro Sanchez est une bonne initiative (le chef du gouvernement espagnol l’a reconnue comme tel, NDLR). Dire qu’il y a une solution à deux états, c’est bon pour les deux peuples. Je demande un cessez-le-feu et la libération des otages.
L’Europe reste indispensable aux Régions ?
Oui. Mais j’ai toujours cru dans l’Europe, c’est le meilleur moyen pour vivre en paix sur ce continent. Jamais depuis trente ans ces élections n’ont eu une telle importance, en raison du contexte géopolitique : montée des populismes, régime totalitaire de Vladimir Poutine et son invasion de l’Ukraine, possible réélection de Trump, exacerbation des tensions au Proche-Orient.
Dans cette période, il faut une Europe de la défense comme le propose Raphaël. Mais aussi une Europe souveraine sur les questions d’énergie, alimentaires, et industrielles. Pour une Europe des mobilités décarbonées, il faut créer un Airbus du ferroviaire.
Quelles conséquences aurait pour l’Occitanie une victoire des extrêmes ?
Ça provoquerait une baisse des fonds de cohésions. Sur l’Occitanie, on bénéficie de 1,4 milliard de crédits européens, sur cinq ans, ce n’est pas neutre.
À très court terme, ça veut dire une baisse de l’accompagnement financier de l’Europe pour des projets bénéfiques aux Occitans. Pour L’Ordi, par exemple. Ou des crédits en moins pour des projets agricoles, de développements ruraux, d’énergies renouvelables.Au niveau européen, la droite dure et l’extrême droite veulent diminuer les politiques de solidarité sur le développement territorial.
Or, elles doivent être renforcées : il faut un grand emprunt européen sur les mobilités, et la Pac soit profondément réformée.
Les relations de l’Occitanie sont-elles meilleures avec Bruxelles qu’avec Paris ?
Aujourd’hui, oui. Nous sommes une des Régions qui arrivent à flécher le plus de crédits européens. La Banque européenne d’investissements est un très gros partenaire financier. On travaille beaucoup avec les instances européennes, c’est un partenaire plus fiable. Depuis quelques semaines d’autant plus…
Les Régions de France ont eu une mauvaise surprise : les crédits annoncés, et votés dans le cadre de la loi de finances 2024, vont être diminués. Pour l’Occitanie, il va manquer, en recettes, 106 millions d’euros sur le budget 2024.
Au-delà du maintien des fonds de cohésion que vous appelez de vos vœux, quelles sont vos attentes sur les grands dossiers structurants ?
Sur les énergies renouvelables, je rappelle que l’Occitanie est la seule à avoir été sélectionnée sur appel à projet pour l’hydrogène vert. On a besoin d’un mix énergétique pour garantir la souveraineté et la puissance de l’Europe. Même chose sur les mobilités. Il faut porter un grand emprunt de plusieurs milliards d’euros au sein de la commission européenne pour avoir des liaisons transfrontalières, et pour investir dans le ferroviaire. Nous n’avons aucune faiblesse à avoir vis-à-vis des autoritarismes.
De leur côté, nos agriculteurs subissent l’abondance des normes, les contraintes écologiques, les marchés, … Vous plaidez pour la clarté, alors qu’avez-vous à leur dire ?
Leur dire ce que je fais pour eux depuis huit ans, à travers le soutien financier à une agriculture de qualité, rémunératrice, et à la politique d’installation. Faisons évoluer les pratiques, rassembler pour repenser le système.
Assurer un revenu aux agriculteurs avec plus de produits français locaux dans la restauration collective, comme on le fait sur nos treize départements à travers la plateforme Occitalim. C’est aussi un gage de fierté pour nos producteurs.
Et je suis contre le modèle instillé qui crée une monodépendance aux aides : il faut renégocier en septembre prochain cette PAC qui a été votée par la macronie, la droite et l’extrême droite, qui est liée à la surface au détriment de l’installation et de la diversification. Il faut une PAC liée au nombre et à la création d’emplois, à l’agriculture bio.
Il faut aussi que les accords internationaux soient équilibrés par une concurrence loyale, l’Europe ne doit pas transiger sur l’équité.Et puis enfin n’opposons pas les uns et les autres : l’agroterrorisme comme l’écoterrorisme n’existent pas. Quand on veut stigmatiser on divise, et cela est mortifère. Quittons ce dogmatisme pour concilier les enjeux du social et de l’écologie.