Dans une pièce située au premier étage de la Caserne, un lieu dédié au développement de la mode écoresponsable situé dans le 10e arrondissement de Paris, on court dans tous les sens. Des tringles sont disposées dans un coin d’une pièce, tandis que des petites mains s’affairent à maquiller les mannequins. Martine regarde son visage se métamorphoser, d’un air amusé. Elle n’imaginait pas avoir l’occasion de participer à son premier défilé à 68 ans. « C’est très agréable de se faire bichonner. Ça aide à canaliser le stress », glisse-t-elle, entre deux coups d’eye-liner.
Si elle a accepté de venir, c’est pour une raison bien particulière : le Secours populaire, pour qui elle est bénévole depuis sept ans, a fourni des vêtements dormant dans ses stocks à l’école de mode parisienne ModArt, pour que des élèves réalisent une collection. Et aujourd’hui, c’est la conclusion du projet : un défilé mélangeant étudiants et bénévoles de l’association, avant une vente aux enchères des tenues présentées.
Margot, étudiante à ModArt en master de stylisme et modélisme, apporte les dernières retouches à la tenue qu’elle a conçue avec un autre étudiant. « On a choisi des vêtements bleu-blanc-rouge, aux couleurs du Secours populaire. Notre mission était d’anoblir ces pièces, en utilisant différentes techniques, comme la broderie ou des empiècements », explique la jeune femme. À l’image de sa création réalisée à base d’une veste en cuir, l’étudiante voulait insuffler un esprit punk : « Nous avons voulu représenter l’invisibilité sociale et la marginalité, parler de cette population oubliée du fait de sa précarisation. Nous avons utilisé le patchwork pour rendre hommage à la diversité des gens qu’on peut rencontrer au Secours populaire », précise-t-elle.
Les étudiants, familiers de la méthode d’upcycling – créer du neuf avec des vêtements usagés, sans transformer les matières –, ont conscience que c’est également une manière de diminuer l’impact écologique du secteur de la mode, l’un des plus polluants au monde. « La question de la situation écologique doit être abordée dans le secteur de la mode. Je fais mon stage dans une maison de luxe et, chaque jour, nous recevons des livraisons de matériaux, de pièces qui viennent de partout dans le monde », déplore Margot, pour qui une autre solution serait de ralentir le rythme des collections.
Dans la longue salle aux murs blancs, près de 200 personnes commencent à s’installer, accueillies par un DJ. Derrière les panneaux qui les séparent des spectateurs, les mannequins essaient de blaguer pour faire baisser leur trac. Une fois la salle pleine, le show commence. Marie Cherifi, directrice de ModArt, donne les dernières instructions aux modèles. Pour elle, la mode doit savoir se montrer solidaire. « Il ne s’agit pas que de vêtements, il faut aussi créer un message derrière. Nous sommes très contents que des pièces banales puissent devenir exceptionnelles, et encore plus contents que ces pièces puissent être vendues au profit du Secours populaire », confie-t-elle.
Le projet donne aussi l’occasion de sensibiliser de futurs professionnels à la précarité. C’est dans cette démarche qu’Abdelsem Ghazi, secrétaire général du Secours populaire de Paris, a abordé cette collaboration. L’association, qui fonctionne principalement grâce à des dons, constate au quotidien les effets de l’inflation et des différentes crises sur son public : « Notre priorité, c’est de ne pas laisser les gens sombrer dans la grande exclusion. Nous essayons de les soutenir, de leur faire garder la tête hors de l’eau, en leur fournissant des produits essentiels comme des vêtements, du dentifrice, ou de la nourriture. »
Une fois le défilé terminé, l’événement se transforme en une vente aux enchères caritative, en présence de la mannequin et marraine du Secours populaire de Paris, Caroline de Maigret. « J’aurais bien voulu garder le pantalon que je portais », glisse Martine, pour qui la journée aura été une expérience mémorable.
Chaque Français achète en moyenne 9,5 kg de vêtements par an, 40 % de plus qu’il y a quinze ans, et les conserve deux fois moins longtemps. Sensibiliser aux enjeux écologiques du secteur de la mode, tel est l’objectif de Fanny Enjolras-Galitzine, juriste de formation, qui a lancé en 2018 un compte Instagram, @the_greenimalist, et autrice d’un livre, « Mode écoresponsable : guide pratique », dans le but d’apprendre à consommer moins et mieux.
Pourquoi vous être intéressée à la cause écologique dans le secteur de la mode ?
Je suis sensible aux actes de consommation du fait de mon éducation. Dès l’âge de 8 ans, je me suis passionnée pour les revues de défense des droits des consommateurs, j’ai étudié le droit pendant plus de sept ans, notamment celui de la concurrence, et je suis actuellement juriste, un métier qui me passionne. Je me suis dit un jour que je pouvais partager le fruit de mes recherches avec les personnes désireuses de mieux consommer.
Pourquoi est-ce une industrie si polluante ?
La mode épuise les ressources naturelles. Elle pollue l’eau, en rejetant des microplastiques, mais aussi l’air : d’après la fondation Ellen MacArthur, une tonne de textile générerait 17 tonnes d’équivalent CO2. Nous pouvons acheter un vêtement en une poignée de clics, en payant en plusieurs fois avec nos données personnelles préenregistrées. Tout est fait pour que nous ne réfléchissions pas à nos actes d’achat. C’est à nous de chercher à consommer en fonction de nos besoins, en limitant les formes de tentation comme les newsletters, les réseaux sociaux… Les lois déjà adoptées en France ou en cours de discussion, comme la taxe sur la fast fashion, vont dans le bon sens, mais ne sont pas suffisantes. Favoriser la réparation, relocaliser l’industrie et surtout réduire le volume de vêtements neufs mis sur le marché sont autant de solutions qui permettraient de diminuer l’impact écologique.
Quel rôle joue la publicité dans nos tendances de consommation ?
Nous vivons dans une société d’hyperconsommation où nous voyons environ 3 000 publicités par jour, ce qui empêche les consommateurs de réfléchir et d’anticiper leurs besoins réels. Cela revient à nager à contre-courant, tant les tendances se succèdent et les publicités sont omniprésentes. Tout est fait pour annihiler notre réflexion et notre conscience. La mode joue avec nos insécurités, nos failles. En projetant des images de corps dits « parfaits», elle nous vend implicitement le rêve d’atteindre cette perfection en achetant les vêtements qu’elle promeut. C’est totalement absurde car, certes, les vêtements peuvent améliorer une silhouette mais ils ne transformeront jamais un corps. Nous sommes inondés d’images parfaites qui nous renvoient à nos imperfections, ainsi il devient nécessaire d’acheter de nouveaux vêtements pour y remédier. Ce n’est que de la manipulation et cela peut créer de véritables situations de détresse, ce qui est profondément injuste.