De l’aveu même de ceux qui la font, l’ambiance dans cette campagne est franchement pourrie. D’un côté, des associations d’indépendants, parfois poussées par les plateformes elles-mêmes, rejettent le modèle salarial et de l’autre, les syndicats plus traditionnels, tentent d’expliquer que cette élection est une mascarade, mais qu’il vaut mieux quand même voter pour eux. Livreurs et chauffeurs ont en tout cas jusqu’à ce jeudi 30 mai à 13 heures pour voter pour leurs représentants à l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), s’ils le souhaitent et y parviennent.
Alors que certains peinent, pour des problèmes techniques, à voter, Brahim Ben Ali, le secrétaire national d’Inv VTC, dont le syndicat vient de rejoindre FO transport, regrette à l’inverse le fait que les chauffeurs d’Uber Fleet aient le droit de participer.
« Ce système est un fléau, de plus en plus de travailleurs s’affilient à des gestionnaires de flottes, qui peuvent recruter des sans-papiers car il n’y a aucune vérification, et les chauffeurs préfèrent leur donner 10 % de leurs revenus que de cotiser à l’Urssaf, mais ils votent comme des autoentrepreneurs », dénonce le syndicaliste. Brahim Ben Ali ne s’en cache pas, il ne voulait pas participer à l’Arpe. « J’ai fini par accepter d’y aller pour observer, ramener des éléments techniques à nos avocats, pour me confronter à eux. Mais je sais que là-bas on n’aura aucune avancée. »
À la CGT, on n’est pas plus enthousiastes. « C’est une instance qui sert non pas à proposer et négocier un nouveau socle de droits pour les livreurs, mais à entériner une sorte de statut intermédiaire entre salariat et indépendant. Avec les désavantages des deux, c’est-à-dire la subordination d’un côté et l’absence de droits de l’autre » , résume Ludovic Rioux secrétaire de la fédération CGT des transports.
Le syndicat a aussi hésité à participer à cette élection, car sur les deux dernières années, dès qu’il a voulu porter ses revendications sur la rémunération des temps d’attentes ou la transparence des algorithmes, le patronat des plateformes a rompu les négociations. « On ne peut pas décorréler non plus le bilan de deux ans d’ARPE de la fermeture des entreprises du quick commerce ou des entreprises comme Just Eat, qui salariaient des livreurs, explique Ludovic Rioux. Il y a eu des milliers de licenciements. Comment peuvent-ils penser qu’entériner ce modèle, qui tend à tirer les conditions de travail vers le bas, et à donner des arguments à des entreprises pour remplacer des salariés par des autoentrepreneurs, n’est pas problématique ? »
Que va devenir l’Arpe après la directive européenne ?
Cette élection intervient aussi après le vote de la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, qui doit être retranscrite dans le droit français dans les deux années, et promet la présomption de salariat pour les livreurs comme les VTC. « La directive dit : soit on est indépendant réellement, soit on est salariés, cette instance qui vise à imposer un tiers statut n’a plus lieu d’être », estime Brahim Ben Ali. Ludovic Rioux reste sur ses gardes : « ce texte doit être retranscrit dans le droit existent, et l’Arpe peut encore nous jouer des tours, il va falloir encore peser sur le rapport de force parce que le contexte politique n’est pas favorable ».
Pour la CGT, si la directive est une claire avancée, ce n’est pas non plus la panacée. Le syndicat regrette qu’il n’y ait pas de reconnaissance rétroactive des droits, pendant le temps ou les livreurs et les chauffeurs ont été exploités. « On leur a volé des années de cotisations retraite, dénonce Ludovic Rioux. Il y a aussi la question des travailleurs sans-papiers : il faut que ce travail dissimulé puisse ouvrir des droits à la régularisation. »
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