Ce mardi 28 mai, les cheminots ont rendez-vous dès 13 heures place d’Italie, à Paris, pour dénoncer le « plan de discontinuité » décidé pour Fret SNCF, qui devra céder à ses concurrents des contrats de transport correspondant à 20 % de son chiffre d’affaires. Annoncé le 23 mai 2023 par l’ex-ministre des Transports Clément Beaune, ce plan vise à éviter le remboursement de sommes versées à l’opérateur public par la Commission européenne entre 2007 et 2019. Vent debout contre un projet « voué à l’échec », le secrétaire général de la CGT cheminots Thierry Nier estime que « la liquidation de Fret SNCF conduira inexorablement vers un report du transport de marchandises sur les routes ».
Le scrutin européen du 9 juin est central. L’avenir de Fret SNCF doit devenir un enjeu. La libéralisation du rail découle des choix européens.
Le gouvernement prévoit de doubler la part du transport de marchandises par le rail d’ici à 2030. Y parviendra-t-il alors qu’il impose, dans le même temps, ce plan de discontinuité à Fret SNCF qui oblige l’opérateur public à céder 30 % de ses trafics à ses concurrents ?
Je pense que non. La liquidation de Fret SNCF conduira inexorablement vers un report du transport de marchandises sur les routes. Les opérateurs qui récupèrent les flux que Fret SNCF est obligé de céder ne tiendront pas longtemps. Le bilan de libéralisation du secteur est sans appel : le volume de marchandises transportées par le rail est en déclin parce que les acteurs ne peuvent pas durablement se positionner sur ce marché. Ce plan de discontinuité est voué à l’échec.
En France, seule la SNCF a les capacités de proposer une offre de wagons isolés desservant au mieux les sites industriels. Depuis la libéralisation, aucun opérateur concurrent ne s’y est essayé, considérant que ces trains étaient trop chers à produire. Or, le seul moyen de doubler la part du fret ferroviaire est de combiner les trains dédiés (avec un client unique – N.D.L.R.), les wagons isolés, les autoroutes ferroviaires, en étant au plus près des besoins, grâce à un maillage territorial cohérent, au sein d’un outil public. C’est dans cette optique que la CGT cheminots demande à l’exécutif et aux députés de bâtir une loi de programmation ferroviaire pluriannuelle. Les investissements publics de l’État sont indispensables.
Le plan du gouvernement prévoit de scinder, au 31 décembre, Fret SNCF en deux entités, la maintenance et les activités commerciales. Le retrait du plan de discontinuité est-il un objectif atteignable ?
Oui. Le retrait est dans les mains du gouvernement. Conformément au rapport de la commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire d’Hubert Wulfranc, un moratoire sur le plan de discontinuité doit être établi. Le débat doit retourner sur la place publique. J’ai écrit à l’ensemble des parlementaires, hors Rassemblement national. Sur 47 retours, 15 viennent de députés Renaissance qui ignorent ou rejettent ce plan. Nous pouvons franchir un cran supplémentaire en élargissant la bataille du fret. C’est l’objectif de la manifestation du 28 mai. L’ensemble des organisations syndicales, des partis de gauche et de nombreuses ONG et associations seront présents.
Quelles suites à la manifestation parisienne de ce 28 mai ?
Le comité de vigilance ferroviaire a été relancé. Il nous permet de rassembler l’ensemble des forces disponibles, dans un dispositif efficace pour éviter la dispersion. Une dizaine d’initiatives, tables rondes, conférences de presse, rassemblements, sont prévus en juin partout en France. La pétition lancée par le comité social et économique (CSE) de Fret SNCF approche les 50 000 signatures. Je suis d’avis que le collectif de vigilance établisse des actions plus marquantes. Le scrutin européen du 9 juin est central. L’avenir de Fret SNCF doit devenir un enjeu. La libéralisation du rail découle des choix européens.
Regrettez-vous l’absence des questions industrielles et ferroviaires dans les débats des élections européennes ?
Tout à fait. Le camp présidentiel et l’extrême droite font le choix du slogan, sans se donner les moyens de réindustrialiser la France. Pour la CGT cheminots, la réindustrialisation ne se fera pas sans un outil de fret ferroviaire public. Le fret ferroviaire est un sujet fondamental pour le climat et l’emploi. Le Covid a démontré l’impératif de rapatrier les capacités de production, quel que soit le secteur d’activité. Le futur du rail doit se penser avec l’avenir de sa filière industrielle. Valdunes, dernier fabricant de roues et d’essieux en France, racheté puis lâché par un groupe chinois, en est le meilleur exemple. Si la société avait fermé, on aurait dû importer ce matériel depuis la Chine par avions-cargos. Par la lutte, la CGT a permis de maintenir ce fleuron industriel sur notre territoire.
Entre la grève des contrôleurs, l’accord d’entreprise sur les cessations progressives d’activité, les actions pour une prime jeux Olympiques, les cheminots ont été dans le viseur des libéraux et partis de droite. Que traduisent ces attaques ?
De toute évidence, il y a la volonté d’accélérer la marchandisation du transport ferroviaire. Cela passe par une politique tarifaire élevée dans les TGV, tout en réduisant les conditions de vie et de travail des cheminots. Cette logique de productivité a pour objectif d’assurer l’autofinancement du réseau par la SNCF. Dans le même temps, répondant aux injonctions de Bruxelles, l’État se désengage. C’est pour cela que nous sommes pointés du doigt, après avoir arraché un accord sur les fins de carrière dont les nouveaux droit seront financés par le seul travail des cheminots. Ce « cheminot bashing » a pour objectif d’accélérer le processus de privatisation.