Combien y en a-t-il eu, déjà ? Quatre ? Cinq ? Six ? Philippe* et Mathieu* ont perdu le compte, noyés sous l’avalanche des réformes de l’assurance chômage enchaînées par Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir, avec une constance qui confine à l’acharnement.
Le nouveau tour de vis qui se profile partage cette caractéristique avec les précédents : il les prend pour cible tous les deux, et avec eux des centaines de milliers d’autres travailleurs précaires. « C’est devenu une habitude, grimace Philippe, 59 ans, avec une ironie un peu lasse. J’ai été frappé par toutes les réformes menées par Macron depuis 2021 ! Après tout, il est vrai que je coûte un “pognon de dingue” aux contribuables : il faut donc me retirer mes sous, pour que je travaille. »
Inscrit à France Travail (ex-Pôle emploi) depuis 2006, Philippe alterne missions ultracourtes et périodes de chômage. Depuis le début de sa carrière, il estime avoir signé la bagatelle de 3 000 contrats de travail. « Je prends tout ce que je trouve, explique-t-il. En ce moment, je suis payé par les supermarchés pour poser de la publicité sur les lieux de vente : par exemple, de petits présentoirs en forme de bateau pour mettre en avant les produits de la mer… Avant ça, je faisais de l’animation commerciale, pour essayer de vendre aux clients les téléviseurs dernier cri. »
Les périodes de travail discontinues toujours plus pénalisées
Refonte du mode de calcul de l’allocation-chômage (octobre 2021), restriction de l’accès à l’indemnisation (décembre 2021), raccourcissement de la durée d’indemnisation (février 2023)… : l’exécutif a joué sur tous les leviers, pénalisant Philippe à chaque fois.
La réforme entrée en vigueur en octobre 2021 visait ainsi à revoir à la baisse le montant de l’allocation, en modifiant le mode de calcul du salaire de référence, sur lequel se base l’indemnisation : dorénavant, le montant dépend de l’intensité de travail pendant la durée précédant l’ouverture des droits.
Autrement dit, les personnes ayant des périodes de travail discontinues sont moins indemnisées car les périodes non travaillées sont prises en compte pour le calcul. Plus d’1,1 million de personnes ont été frappées, principalement des intérimaires et des salariés enchaînant les CDD.
En moyenne, les salariés arrivant à France Travail après un CDD, comme Philippe, ont vu leur indemnité fondre de 10 %, par rapport à l’ancien système. « Je suis tombé à 460 euros d’indemnités, se souvient le quinquagénaire. Être précaire, c’est être incapable de savoir de quoi demain sera fait. Je me suis mis en colocation avec une dame qui touche une petite retraite. On partage les frais, on fait gaffe à tout quand on fait les courses, on fait notre propre confiture… On survit, quoi. »
« Comment vais-je faire si le nombre d’heures nécessaire augmente demain ? »
La prochaine réforme risque d’allonger la durée de travail nécessaire pour pouvoir prétendre aux indemnités chômage. Avant l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, cette dernière s’élevait à quatre mois de travail au cours des vingt-huit derniers mois. Puis elle a été relevée, en décembre 2021, à six mois au cours des 24 derniers mois. Une nouvelle hausse serait probablement fatale à Mathieu, 38 ans, berger de son état.
Le quadra est arrivé dans ce secteur à la suite d’une reconversion professionnelle, après la perte de son emploi chez un distributeur de presse, en 2020. « J’étais peu qualifié, je me suis dit que travailler au grand air entouré d’animaux pouvait me plaire », résume-t-il. Basé dans le Morvan, Mathieu fait paître ses brebis dans un décor de carte postale, mais la splendeur du paysage ne fait pas oublier la dureté des conditions de travail, pas plus qu’elle n’éloigne le spectre de la pauvreté, que la prochaine réforme fait planer plus que jamais.
Travailleur saisonnier (ses saisons durent de juin à octobre), Mathieu pointe souvent à France Travail. « Jusqu’à présent, nous avions besoin de bosser 910 heures (soit six mois de travail), pour toucher notre indemnisation, précise-t-il. C’est difficile, mais j’y arrive. Comment vais-je faire si le nombre d’heures nécessaire augmente demain ? La plupart des bergers que je connais me disent que ça va devenir extrêmement compliqué de vivre de ce travail… »
En octobre, quand il aura terminé sa saison, Mathieu craint de se retrouver sans rien, ayant épuisé ses droits au chômage. « La situation sera très simple, synthétise le berger : ou bien je retrouve quelques mois de boulot dans une ferme du Morvan. Ou bien je bascule au RSA. »
Emmanuel Macron a juré d’atteindre le « plein-emploi » en 2027, quitte à faire diminuer artificiellement le nombre d’inscrits à France Travail. Pour Philippe, Mathieu, et des centaines de milliers d’autres, cette ambition a un coût social exorbitant…
* Les prénoms ont été modifiés.
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