Ils subissent depuis le début du mois de mars un léger tassement mais les cours de l’uranium, qui connaissent depuis l’été 2023 une envolée, restent au plus haut. Du jamais-vu depuis 2007, quand le renouveau du nucléaire dans le monde, l’épuisement des stocks accumulés jusque dans les années 1980 et les craintes de pénurie avaient fait flamber le prix du métal radioactif, négocié par contrat, d’État à État, jusqu’au pic historique de 140 dollars la livre (contre 40 dollars début 2006). Ce seuil est encore loin mais, le 12 janvier, l’uranium franchissait la barre symbolique des 100 dollars la livre. En un an, le « spot price » (c’est-à-dire le prix payé comptant pour livraison immédiate) du combustible nucléaire a été multiplié par deux, porté par la multiplication des programmes de construction de réacteurs nucléaires, les aléas de production rencontrés par les géants miniers et les tensions sur le marché de l’énergie, notamment du gaz, liées à la guerre russo-ukrainienne.
« L’attente d’une demande plus élevée de la part de l’industrie nucléaire mondiale, combinée aux signaux selon lesquels le secteur de la production d’uranium pourrait se contracter davantage en raison des récents événements géopolitiques, ainsi que de certains objectifs manqués par les producteurs existants et émergents, ont conduit les vendeurs d’uranium au comptant à ne pas réduire leurs prix d’offre, les acheteurs étant disposés à payer des prix plus élevés pour obtenir du matériel » résume Treva Klingbiel, présidente de la plateforme d’études de marchés TradeTech.
Crise énergétique mondiale
Les cours s’étaient effondrés dans le sillage de la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue lors du tremblement de terre et du tsunami qui avaient frappé le Japon le 11 mars 2011. Cet accident majeur avait suscité la stupeur et aussitôt convaincu l’Allemagne de hâter sa sortie du nucléaire ; la Belgique et la Suisse lui emboîtant alors le pas pour s’engager dans un processus d’abandon progressif. L’essor des énergies renouvelables et le faible coût du gaz venaient clore, avec le tournant de Fukushima, une longue parenthèse d’euphorie nucléaire. Conséquence : le prix de l’uranium avait alors connu une chute libre, jusqu’à 25 dollars la livre.
La crise énergétique mondiale causée par la reprise économique après la récession liée à la pandémie de Covid, aggravée, à partir de mars 2022, par l’invasion russe de l’Ukraine, a changé la donne, installant les conditions d’un retour en force de l’énergie nucléaire en Europe et dans le monde. En juillet 2022, la Commission européenne accolait ainsi son « label vert » au nucléaire : en l’incluant dans sa taxonomie verte, l’UE exaltait la contribution de l’énergie nucléaire à la lutte contre le réchauffement climatique. Dans le même mouvement, l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 imposé à ses membres encourageait le recours à l’énergie nucléaire, au détriment des énergies fossiles, dans le mix énergétique. À l’occasion de la COP28, à la fin de l’année dernière, le même mouvement s’affirmait à l’échelle globale, avec l’engagement de 24 pays à tripler la part du nucléaire dans leur mix énergétique d’ici à 2050. Partout, des programmes nucléaires voient le jour, des réacteurs sont inaugurés : à la fin de l’année 2022, on recensait, dans le monde, 57 centrales nucléaires en construction – dont 18 en Chine – et plus de 100 projets. Ce qui devrait conduire, d’après les prévisions de la World Nuclear Association, à une augmentation de près de 30 % de la demande mondiale d’uranium d’ici à 2030 et peut-être à son doublement entre 2030 et 2040.
La Chine à l’offensive
Avec son expansion économique et la croissance exponentielle de ses besoins énergétiques, la Chine, qui se fixe l’objectif de porter à 10 % la part du nucléaire dans son mix énergétique d’ici 2030, contribue à l’accélération de cette tendance. Pékin, qui compte sur la construction de six à dix réacteurs par an pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, se classe désormais au troisième rang des pays consommateurs d’uranium, derrière les États-Unis et la France. Avec 12 %, à ce stade, de la demande mondiale, ses besoins devraient passer de 11 000 tonnes en 2023 à 40 000 tonnes d’ici 2040, ce qui menace d’accentuer toujours davantage les tensions sur ce marché. Le pays estime à près de 3 millions de tonnes les réserves d’uranium de son propre sous-sol ; il conduit, à l’étranger, une politique offensive d’exploration, de prise de contrôle de gisements. Pour l’heure, la flambée des prix de l’uranium n’affecte pas sensiblement les factures : il ne représente que 5 % du prix final de l’électricité produite par la filière nucléaire. Mais comme d’autres matières premières stratégiques, le métal radioactif se trouve au cœur de l’impitoyable guerre économique à laquelle se livrent les grandes puissances.
En 2020, l’essentiel des exportations d’uranium du Niger (76 %) avait pour destination la France, avec 2 200 tonnes achetées par Orano (ex-Areva). Le délitement de ses relations avec l’ex-puissance coloniale depuis le coup d’État militaire pousse Niamey dans les bras d’autres partenaires. À commencer par la Chine, qui s’était déjà positionnée dès 2007 dans le pays, par l’intermédiaire de la China National Nuclear Corporation (CNNC). La Société des mines d’Azelik (Somina), une coentreprise entre CNNC et l’État nigérien, majoritairement détenue par les Chinois, va reprendre ses activités d’extraction de l’uranium dans le nord du pays, à 200 kilomètres au sud-ouest d’Arlit, où opère Orano. Ces opérations avaient commencé en 2011, avant d’être suspendues voilà dix ans faute de rentabilité. En juin 2023, le gouvernement nigérien et la Compagnie nationale d’uranium de Chine (Cnuc) avaient signé un protocole d’accord pour la reprise des activités de la Somina. Juste à la veille de l’envolée des prix du métal radioactif.
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