Vingt-cinq pour cent des salarié.es du privé travaillent dans une entreprise où il y a eu une grève en 2022. C’est ce que nous apprend une étude du ministère du Travail. On est évidemment frustré de ne pas avoir les données pour 2023, mais cela viendra. L’année 2022 a été l’une des années de la dernière période où les conflits dans les entreprises du privé ont été les plus nombreux et ont touché le plus grand nombre de salariés. Sans atteindre le niveau de l’année 2010, où l’enjeu de la réforme Fillon des retraites avait exacerbé le degré de mobilisation, l’année 2022 atteint le niveau de conflictualité de 2019, année la plus haute de la décennie. Si elle est loin des grandes heures des mobilisations ouvrières, la conflictualité dans le privé n’est donc pas, pour autant, négligeable, sans doute supérieure à ce que l’on imagine au premier abord. C’est d’autant plus remarquable que les grèves ne sont qu’une des formes des conflits. Elles succèdent souvent à d’autres types de mobilisations telles que les pétitions, délégations de masse, rassemblements, débrayages de courte durée.
C’est le refus patronal de négocier sur les revendications qui accule très souvent les salariés à la grève. Depuis plusieurs années, les méthodes managériales s’affinent pour, sous couvert de dialogue social apaisé, déminer les velléités de conflits sans changer la stratégie de gestion de l’entreprise. Que, dans ce contexte, le recours à l’action collective d’abord, à la grève ensuite, apparaît nécessaire à autant de salarié.es et est donc une bonne nouvelle. Elles encouragent les efforts de déploiement pour implanter des bases syndicales dans un plus grand nombre d’entreprises, grandes et petites. Sans surprise, ce sont les plus grandes entreprises, celles aussi où la présence syndicale est la plus importante, qui connaissent le nombre de grèves et de grévistes le plus élevé. Les grèves ont concerné, en 2022, 35 % des entreprises de plus de 500 salariés. L’industrie, en particulier l’industrie « extractive » (énergie, eau, gestion des déchets, dépollution) est en tête de la mobilisation en termes de nombre de grèves, tandis que le secteur « transport- entreposage » est celui où les grèves durent le plus longtemps.
Dans tous les secteurs, ce sont les revendications liées aux salaires qui tirent la mobilisation, celles portant sur les conditions de travail arrivent en seconde position. Mais les préoccupations de portée générale ne sont pas absentes. Dans 80 % des cas, les revendications englobent, au moins en partie, des sujets extérieurs au seul domaine de l’entreprise. On pense en particulier aux retraites, puisque le gouvernement avait annoncé son projet de réforme pendant l’été 2022, pour le concrétiser dans les premiers mois de 2023. Il est donc probable que la conflictualité du premier semestre 2023 accentue la tendance de 2022, puis s’infléchisse. Si les grèves pour les salaires restent en effet nombreuses, celles pour les enjeux globaux des choix économiques et sociaux, patronaux et gouvernementaux, sont devenues plus difficiles depuis la promulgation de la loi sur les retraites. Les collectifs syndicaux ont donc la lourde responsabilité de travailler sans relâche pour faire le lien entre les revendications, les raisons de lutter et les enjeux globaux. « Pour être forts quelque part, il faut l’être partout », a-t-on coutume de dire à la CGT. L’analyse des conflits le confirme et nous indique le sens des efforts à déployer.