Les pays du Sud, les grands lésés de l’accord sur la taxation des multinationales négociés sous l’égide de l’OCDE, ont porté le sujet à l’ONU. Début s’y est tenu la première semaine de négociation, qui ambitionne d’accoucher d’une convention fiscale internationale. Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire, y était.
Si les pays riches prétendent avoir soldé la question fiscale en ayant négocié une taxation minimale des multinationales, dans le « cadre inclusif » de l’OCDE et du G20, les États du Sud ne le voient pas ainsi. L’évasion fiscale des multinationales leur coute 400 milliards de dollars par an, quand l’ensemble de l’aide au développement plafonne à 200 milliards.
C’est ainsi que le groupe des États africains a décidé de porter une résolution pour lancer des négociations sur la fiscalité, à l’ONU, dans le but de rédiger une convention fiscale contraignante. La première semaine de négociation s’est tenue début mai à New York, Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire y a assisté.
Que change le cadre de l’ONU, par rapport au cadre dit « inclusif » de l’OCDE ?
Déjà, à l’inverse de l’OCDE, les débats sont ouverts. La société civile, comme les ONG ou des chercheurs, peuvent y assister, interpeller les pays. Ce qui change la donne, car les États ne peuvent pas tout se permettre : ils sont regardés, filmés… Par exemple, à un moment, les États-Unis ont dit qu’avant de proposer de nouvelles règles fiscales, il faudrait appliquer les standards existants. Ils se sont vu rétorquer que non seulement c’était eux qui n’appliquaient pas les règles, mais qu’en plus, ces soi-disant standards étaient ceux imposés par les pays riches.
« Nous ne sommes pas encore sur la technicité des propositions, mais chaque pays a présenté ses intentions. »
D’autre part, à l’OCDE, la moitié des pays africains n’étaient pas représentés. Aux Nations unies, le cadre est beaucoup plus démocratique. Pour la première fois, tous les États du monde étaient rassemblés pour parler de fiscalité. L’Inde, le Ghana, le Sénégal ou le Pakistan par exemple sont ainsi beaucoup intervenus pour rappeler à quel point ce débat était important pour eux. Ils ont vraiment créé un rapport de force, le sujet a échappé aux seules mains des pays riches.
Quels thèmes ont-ils été abordés ?
Nous ne sommes pas encore sur la technicité des propositions, mais chaque pays a présenté ses intentions. Sur la fiscalité des super-riches, tous les pays sont d’accord pour avancer. On peut s’attendre à voir rappeler de grands principes comme la valorisation de la progressivité de l’impôt.
D’autres articles pourront porter des exigences de transparence, comme la mise en place d’échanges automatiques d’informations fiscales. Concernant la fiscalité écologique, tout est encore ouvert. Certains pays ont évoqué le fait de taxer d’avantage les multinationales du pétrole et les plus émettrices de gaz à effet de serre. La France a proposé de taxer le transport maritime et aérien. D’autres voulaient discuter d’une taxe carbone.
Le sujet qui a fait débat relève de la fiscalité des multinationales. Les pays riches ont rechigné, en pointant le fait que l’accord négocié à l’OCDE et au G20 existe. Le Sud a rétorqué que ce n’était pas un standard universel. En parade, les riches ont proposé d’aider les pays du Sud à renforcer les capacités de leurs administrations fiscales. Ceux-ci ont répondu qu’ils avaient plutôt besoin de règles justes. La France y aurait aussi tout intérêt : nous ne sommes toujours pas en capacité de taxer efficacement les multinationales.
Sur quoi ce processus peut-il aboutir ? Et quand ?
L’objectif est de rédiger en 18 mois une convention internationale contraignante sur la fiscalité, à la manière de celle de Paris sur le Climat lors de la COP21 par exemple. Les pays de l’OCDE avaient voté contre cette résolution, mais ils ne sont pas majoritaires à l’ONU. Les négociations ont donc commencé.
Maintenant que chaque État a donné ses intentions, le bureau des Nations Unies, épaulé du secrétariat, va produire un texte, avec les grands termes du débat, qui servira de base à trois nouvelles semaines de négociation en août prochain. Cela fait 15 ans que les pays du Sud, proportionnellement les plus lésés par l’évasion fiscale, veulent porter le sujet à l’ONU et ils prennent ces négociations très au sérieux. Une convention internationale sur la fiscalité pourrait vraiment changer la donne.
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