« Ce n’est pas dans notre ADN de se lancer dans ce mouvement », euphémise le docteur Philippe Cuq, coprésident de l’union syndicale Avenir SPÉ-Le Bloc. Mercredi, lors d’une conférence de presse, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) et cinq syndicats de médecins libéraux, peu adeptes de la lutte sociale, ont confirmé leur appel à la suspension totale de l’activité à partir du 3 juin. Selon Lamine Gharbi, président de la FHP, celle-ci s’annonce ultra-suivie. « Quatre-vingts pour cent des adhérents (1 030 cliniques et hôpitaux privés où exercent 40 000 médecins libéraux – NDLR) ont déjà envoyé leur intention de se mettre en grève auprès des agences régionales de santé (ARS). »
Si le secteur privé est vent debout, c’est que le gouvernement ne lui a octroyé que 0,3 % de hausse des tarifs MCO (médecine chirurgie obstétrique), contre 4,3 % dans le public. Un écart que l’exécutif justifie par un soutien spécifique aux activités de maternité, de greffes ou encore de soins palliatifs, plus présentes dans le public, mais aussi par la volonté de mieux rémunérer la permanence des soins, assurée principalement par les CHU et les centres hospitaliers. « C’est une discrimination tarifaire inédite, s’agace Lamine Gharbi. Nous demandons l’équité et 500 millions d’euros en 2024 afin d’obtenir la même enveloppe que l’hôpital public. (…) S’il n’y a pas de revalorisation juste pour rééquilibrer les choses, il y aura 800 millions de déficit sur la branche. »
La menace de fermeture des sites
Début avril, après l’annonce de cette mobilisation, la Fédération hospitalière de France (FHF) avait fait part de son « vif étonnement », estimant que « les arbitrages rendus par le gouvernement dans le cadre de la campagne tarifaire 2024 ne favorisent pas un secteur plus qu’un autre, mais répondent à des enjeux de santé publique qui s’adressent à tous les acteurs, quel que soit leur statut : il serait choquant que d’autres considérations que celles-ci priment dans les décisions prises ».
Avec 40 % des établissements privés en situation de déficit, fin 2023, après des années florissantes, notamment pour les trois principaux acteurs Ramsay Santé, Elsan et Vivalto, le modèle économique du secteur lucratif, axé sur la rentabilité, marque le pas. Ces groupes font aujourd’hui planer la menace de fermetures de sites si leurs demandes ne sont pas satisfaites. « Il y a l’éventualité de la disparition de dizaines d’établissements et de services au moment où les Français rencontrent déjà des difficultés d’accès aux soins », assure également le président de l’UFML-S, Jérôme Marty, qui professe : « Ce mouvement va être extrêmement dur et ça nous fait peur. »
L’appel au professionnalisme
Selon la FHP, entre le 15 et le 20 mai, les patients commenceront donc à être prévenus en vue d’une déprogrammation de leurs opérations ou de leurs consultations. Le 3 juin, « il y aura des réquisitions seulement dans les services d’urgences, précise Lamine Gharbi, mais il n’y aura pas de radiologie, de biologie et de scanner. L’urgentiste ne pourra pas avoir l’avis d’un chirurgien thoracique, donc il n’aura pas les moyens de travailler. Les patients devront aller à l’hôpital. (…) C’est un test grandeur nature pour quand nous ne serons plus là… »
Alors que les gouvernements successifs ont laissé les établissements privés proliférer dans l’Hexagone, ceux-ci étant désormais majoritaires dans certains territoires comme les Bouches-du-Rhône et la Haute-Normandie, Charlie Trisse, déléguée générale du Samu-Urgences de France alerte, elle, sur les conséquences de ce mouvement : « Un report non organisé, ni concerté des patients du privé vers le public représente un risque majeur tant en termes de désorganisation que de sécurité et de qualité des soins. »
Quant aux salariés travaillant dans les services mis à l’arrêt, ils pourront, le temps de la mobilisation, se consacrer à des actions de formation ou à la préparation de la certification de leur clinique. À cette situation est venue se greffer la colère des médecins spécialistes libéraux face à l’impasse de la négociation conventionnelle sur leurs tarifs avec l’assurance-maladie, censée se conclure d’ici quelques jours. Leurs représentants, jugeant les dernières propositions insuffisantes et peu détaillées, soutiennent également ce combat. Quant au ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, il maintient sa position, tout en appelant le privé à la raison. « Je sais quel est leur engagement sur un territoire, je sais quel est leur professionnalisme (…) et je sais qu’ils ne prendraient pas le risque de mettre en péril la prise en charge des Français. »