Nîmes, une étape de deux semaines dans leur préparation olympique bousculée par la guerre en Ukraine. Rencontre avec les jeunes jumelles Aleksiiva, jeunes prodiges de la natation artistique.
Il est 18 h dans la touffeur chlorée et lumineuse de la piscine Nemausa. Les lignes d’eau sont tirées et les nageurs enchaînent leurs longueurs du soir. Sur le bord du bassin, souriantes et disponibles malgré leurs sept heures d’entraînement quotidien, Maryna et Vladyslava Zleksiiva, jeunes nageuses ukrainiennes de 22 ans, espoirs de médaille d’or aux JO de Paris, ont encore l’énergie et la grâce de raconter leur vie de championnes et leur destin percuté par la guerre qui n’en finit pas en Ukraine.
Leur piscine détruite par un missile
Les jeunes filles qui ont plongé dans la natation artistique à l’âge de 10 ans, sont originaires de la ville de Kharkiv, à une trentaine de kilomètres de la frontière russe. Quand la guerre éclate, en février 2022, la ville devient l’un des épicentres du conflit armé qui oppose l’Ukraine à la Russie. Les bombes pleuvent… Fin de la paix, fin de l’innocence ! La piscine est détruite par un missile, les vitres ont volé en éclats, l’eau n’est plus chauffée… Comment s’entraîner sereinement quand une ville s’écroule autour de vous ? “Nous sommes parties en Italie avec l’équipe de natation artistique et les entraîneurs”, expliquent Maryna et Vladyslava en ukrainien, accompagnées d’une traductrice.
Un répit loin du chaos mais l’inquiétude chevillée au cœur. La famille restée au pays, le mari de Vladyslava, les amis leur manquent trop. “Quand on est loin à l’étranger, on s’inquiète trop. On préfère être ensemble même sous les bombes”, confient-elles, sourires lumineux quand la mélancolie ne quitte jamais leurs yeux si bleus. Elles rentrent en Ukraine au bout de six mois, à Kharkhiv, chez elles, puis très vite à Kiev, beaucoup plus loin de la ligne de front.
“On doit courir se cacher”
De leur quotidien dans cette Ukraine martyrisée, elles révèlent à mots couverts ce qui les marquera à jamais. Dire encore et encore la peur, “les bombes qu’on voit tomber par la fenêtre, il y a tellement de stress. Quand on entend une explosion, on doit vite courir se cacher. On ne sait jamais où ça va tomber, on ne sait pas où aller”, raconte Maryna. Sa sœur jumelle dit aussi “les piscines détruites, les morts tous les jours, les amis devenus soldats, les sportifs tués qu’on connaissait…”
“Montrer que l’Ukraine est un pays fort”
Elles sont à Nîmes pour deux semaines, quand une autre partie de l’équipe ukrainienne de natation s’entraîne à Montpellier. “C’est magnifique ici. C’est important de nager dans une belle piscine…”, disent-elles au bord des bassins de Nemausa. Puis, elles partiront au Canada en compétition avant de rentrer à Ukraine. Leur coach Olesia Zaitseva regarde “ses” nageuses avec fierté : “Ce sont des sportives très fortes et très agréables”. Un sourire ému, gagné par les larmes, car la guerre ne lâche jamais les esprits.
Déjà la médaille d’or… de la Ville
Mardi soir, à la piscine Nemausa, Franck Proust, président de Nîmes Métropole, ravi du petit coup de com de leur présence ici, a offert aux sœurs Aleksiiva un bouquet de fleurs et une médaille de la ville. “Elle est en or, en attendant d’en avoir une encore plus belle à Paris”, lance l’élu qui leur dit sa fierté de les accueillir. “C’est une société spécialisée dans l’implantation des athlètes sur le territoire qui nous a contactés…”
De Nîmes, Maryna et Vladyslava ne connaissent que la piscine où elles passent sept heures par jour à s’entraîner. Mais pas question de quitter la ville avant d’en découvrir les beautés. Ce dimanche, leur seul jour de repos, l’office de tourisme leur concocte un petit circuit en taxi pour s’émerveiller devant les arènes, la maison carrée et le jardin de la fontaine.
Déjà médaillées de bronze aux JO de Tokyo en 2021, et plusieurs fois championnes d’Europe, Maryna et Vladyslava Aleksiiva, espèrent une médaille aux JO de Paris début août où elles nageront en duo au centre aquatique de Saint-Denis. Elles y présenteront un programme technique intitulé “War Stories” et un programme libre “Up and down” qui rappellent la guerre derrière la grâce chorégraphiée de leur duo. “On est très motivée, lancent-elles. On veut montrer au monde entier que l’Ukraine est un pays fort”. Leur guerre à elles, se jouera dans un bassin. Leur mère viendra peut-être les voir à Paris, espèrent-elles, “les hommes n’ont pas le droit de quitter le pays”.
Si courageuses et déterminées à gagner une médaille pour leurs pays, les sirènes de Kharkiv ont déjà gagné nos cœurs.