La gauche aurait eu de quoi retrouver le sourire, ce 1er Mai. 200 000 personnes ont défilé dans les rues de tout le pays, selon la CGT. Dans le gris du ciel, au-dessus des cortèges, les couleurs syndicales, rouge, rose, vert. Mais aussi, la bannière tricolore de la Palestine, souvent brandie par les manifestants. Preuve de l’attachement du peuple de gauche pour la paix au Proche-Orient. C’est pourtant une image de division qui a envahi les écrans : celle de l’exfiltration de Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS aux européennes, poussé hors du défilé stéphanois aux cris de « Palestine vivra », par des manifestants lui reprochant sa mollesse sur la situation à Gaza. Une scène qui ranime l’éternelle confrontation entre des gauches prétendues irréconciliables. Avec, cette fois, au centre des débats, la question palestinienne. Contexte international oblige.
Pourtant, ces derniers jours, les formations de gauche ont parfois serré les rangs. Alors que les voix pour la Palestine sont de plus en plus mises sous l’étouffoir – en témoignent les interdictions de manifester ou l’annulation d’interventions de la FI dans des campus universitaires –, la gauche, dans son ensemble, s’est indignée de la multiplication des atteintes aux libertés publiques. Et la convocation de deux figures de la FI par la police judiciaire, Rima Hassan, candidate aux européennes, et Mathilde Panot, cheffe de file des députés FI, pour « faits d’apologie publique d’un acte de terrorisme », a donné naissance à un front commun pour dénoncer la criminalisation de la solidarité avec Gaza.
« Le délit d’apologie du terrorisme, d’une extrême gravité, doit être établi sur des bases solides et ne pas être détourné pour entraver la liberté d’expression qui doit être pleinement respectée ! » a déploré Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. L’écologiste Marine Tondelier a de concert pointé du doigt « la loi Cazeneuve de 2014, qui a permis de limiter l’expression politique sous prétexte d’apologie du terrorisme ». Et le socialiste Olivier Faure de fustiger « une atteinte grave à la démocratie ». Sauf que, malgré ce bloc uni face aux coups portés aux libertés, les divergences de fond et de discours entre les formations ont limité les possibilités d’union pérenne en soutien à Gaza. D’autant plus dans le contexte de la campagne des européennes.
Procès en « instrumentalisation »
« Malgré les désaccords, malgré ce que je juge comme une faute morale et politique de la part de la FI le 7 octobre (référence au communiqué du groupe parlementaire de la FI qui avait provoqué l’éclatement de la Nupes, le texte ne qualifiant pas l’attaque du Hamas de « terroriste », mais d’« offensive armée des forces palestiniennes » – NDLR), il fallait une expression publique de la gauche et elle a eu lieu, estime Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne. Mais je reste lucide sur la logique de surenchère, de fuite en avant et d’instrumentalisation du sujet par la direction des insoumis à des fins électorales, qui enfonce le clou de la rupture avec la Nupes. »
« Dans cette campagne, il existe des sillons de mobilisation. Le clivage entre camp de la paix et camp de la guerre en est un. Et il est particulièrement mobilisateur pour notre électorat. »
Manuel Bompard, FI.
Un point de vue partagé dans les rangs socialistes, qui voient une « implication insoumise » autour des blocages de campus étudiants en défense de la cause palestinienne. « Leur objectif, c’est de mener une politique de conflictualisation pour occuper un espace politique plus grand que le leur », analyse-t-on dans l’entourage d’Olivier Faure. Constat partagé par Léon Deffontaines. S’il s’est dit choqué par la convocation de Mathilde Panot, arguant qu’il ne « doit pas y avoir de délit d’opinion politique », la tête de liste du PCF aux européennes a taclé les buts selon lui poursuivis par la formation de Jean-Luc Mélenchon : « La FI est en train de souiller et piétiner le combat palestinien à des fins électorales. Je ne leur pardonnerai jamais. » Dans le camp insoumis, on ne nie pas avoir voulu faire de la Palestine un « sujet européen », bien au contraire, avec, à l’esprit, le vote des jeunes et des quartiers populaires. « Dans cette campagne, il existe des sillons de mobilisation, observe Manuel Bompard, coordinateur national de la FI. Le clivage entre camp de la paix et camp de la guerre en est un. Et il est particulièrement mobilisateur pour notre électorat. »
Des différences de fond autour de la solution politique à privilégier
C’est d’ailleurs dans ce sens que Rima Hassan, juriste mobilisée de longue date pour la cause palestinienne, est érigée en symbole de l’engagement insoumis pour capitaliser sur ce sujet. Tant pis si, entre la formation de Jean-Luc Mélenchon et la militante franco-palestinienne, des différences de fond subsistent autour de la solution politique à privilégier. Deux États ou un État binational ? « La FI m’a permis de conserver mes deux casquettes : celle de Palestinienne et celle de citoyenne française et européenne, répond l’intéressée. La première me permet de continuer à dire que j’aimerais vivre dans un État binational, parce que j’aspire à voir cohabiter Israéliens et Palestiniens sans frontière entre eux. Et la deuxième m’oblige à considérer les réalités diplomatiques, donc la solution à deux États, qui est la position officielle de la FI, même si elle ne représente pour moi qu’une étape. » Une ligne flottante qui n’est pas du goût des autres formations de gauche qui défendent, chacune dans son couloir, leur constance sur la question.
« Notre cap n’a jamais bougé, estime, pour sa part, Léon Deffontaines. C’est celui d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, qui passe par la reconnaissance de deux États sur les frontières de 1967, telle que la préconise le droit international. » Un engagement communiste qui se traduit par la campagne pour la libération de Marwan Barghouti, et, à l’Assemblée nationale, par des propositions de résolution pour la reconnaissance de l’État palestinien, ou celle, plus récente, condamnant « l’institutionnalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid ». Ce qui n’empêche pas Rima Hassan d’estimer que « la posture du PCF trahit les revendications du peuple palestinien ». Fabien Roussel est pourtant le seul dirigeant de gauche à s’être rendu en Palestine depuis le début des bombardements sur Gaza. « La politique de Netanyahou et de son gouvernement suprémaciste d’extrême droite débouche sur des crimes terribles en Cisjordanie et à Gaza dont ils devront répondre devant la justice internationale. Les mots que nous avons entendus sont les mots de génocide, de nettoyage ethnique, d’apartheid. Des mots employés par des ONG, par des habitants, par des élus palestiniens. C’est donc d’une extrême gravité. Il faut mettre fin à cette barbarie », avait-il déclaré après sa visite dans des camps de réfugiés.
Vers un objectif commun ?
Cet investissement constant, la députée PCF Elsa Faucillon espère le voir prolongé avec un appel qu’elle adresse à sa formation comme à toutes les autres : éviter les pièges de la division. « Il ne faut pas chercher, même en période électorale, à affirmer une position particulière en visant la distinction. La Palestine a besoin de mobilisation et d’unité », martèle-t-elle. Un horizon auquel se joignent les écologistes par la voix de Mounir Satouri, eurodéputé Verts : « Il faut pousser pour répondre aux besoins urgents : cessez-le-feu et entrée de l’aide humanitaire. Il y a des gens qui meurent. Le sujet, aujourd’hui, c’est celui-là. »
Au PS, on défend cependant fermement un « droit à la nuance ». Raphaël Glucksmann refuse, par exemple, d’employer le mot « génocide » pour qualifier le carnage en cours à Gaza, à l’inverse des insoumis qui en ont profité pour souligner avec ardeur sa tiédeur, selon eux, sur la question. « Ce qui tue la gauche, en général, c’est d’être dans l’obsession de flatter ceux qui la suivent », confie l’eurodéputé en privé.
Malgré ces nuances, un point rassemble toute la gauche : l’appel à un cessez-le-feu immédiat et la volonté de voir l’État palestinien reconnu. Le président de la République, Emmanuel Macron, a d’ailleurs déclaré, mi-février, que cet objectif ne constituait « pas un tabou pour la France ». « Nous le devons aux Palestiniens », a-t-il même poursuivi. Et pourtant, aujourd’hui, toujours rien. Le gouvernement ne bouge plus, et la gauche ne s’est pas engouffrée dans la porte ouverte, affichant davantage ses divisions. Le combat au service du peuple palestinien mériterait pourtant d’être mené en rangs serrés.