Niché en amont du village de Neuvillette-en-Charnie, dans le département de la Sarthe, le refuge GroinGroin, fondé en 2005 par Caroline Dubois et Servane Hochet, recueille, depuis bientôt deux décennies, des animaux de ferme destinés à l’abattage. « Au départ, l’idée était de porter secours aux petits cochons nains qui étaient massivement adoptés en tant qu’animaux de compagnie », explique Lucie Nayak, 41 ans, responsable de la sensibilisation et du développement au refuge. « Or, dans 75 % des cas, les gens finissaient par les abandonner, car ce sont des animaux qui peuvent atteindre 80 kilos à l’âge adulte. Puis les fondatrices ont très vite élargi l’accueil aux animaux de la ferme considérés comme des biens de consommation. » Le refuge GroinGroin compte actuellement une centaine de pensionnaires, répartis sur douze hectares. « Là-bas, nous avons des chevaux, des poneys et des vaches. Tandis qu’ici, l’espace est réservé aux cochons, aux poules et aux chèvres », détaille Lucie en balayant du bras une immense prairie.
Sous le soleil d’avril, un groupe de cochons nains broute tranquillement dans l’herbe. Ici, chaque animal a une histoire qui lui est propre. « Les animaux arrivent ici pour plusieurs raisons. Cela peut faire suite à des abandons ou à des saisies ordonnées par les autorités pour des faits de maltraitance chez des particuliers ou au sein des élevages », confie Lucie Nayak. C’est le cas des Barbapapa, une famille de cochons nains arrivés au refuge il y a quelques années. « Nous avons recueilli Barbamama et ses neufs petits à la suite d’un signalement pour maltraitance. Ils vivaient chez des particuliers qui les élevaient pour les manger », complète la responsable.
Certains animaux ont été trouvés errants en bordure de route comme la poule Nova. « Je l’ai découverte en Bretagne, près d’un élevage. Sur le sol, il y avait des centaines de pattes de poules. C’était affreux », se souvient-t-elle. D’autres résidents du refuge ont été sauvés par des salariés d’élevages comme le cochon Nala. « Elle avait une grave infection des yeux. L’éleveur ne voulait pas la faire soigner. Nala aurait dû être euthanasiée. Or, une salariée de l’élevage qui s’était attachée à elle nous l’a confiée. Quand elle est arrivée, nous avons dû lui retirer les yeux, car sa souffrance était devenue intolérable. » Si elle est aujourd’hui totalement aveugle, Nala parvient tout de même à s’orienter grâce à son odorat.
Un refuge qui offre une nouvelle vie aux animaux exploités et maltraités
Cette dernière est une véritable privilégiée. Car le refuge n’accueille qu’un nombre limité d’animaux. « Nous en refusons tous les jours. Nous n’acceptons de nouveaux résidents qu’à condition que les ressources spatiales mais surtout humaines et financières le permettent, sans que cela mette en danger la qualité de vie et de soins des animaux déjà présents », explique Lucie. La question de l’encadrement est d’autant plus cruciale que le refuge compte actuellement huit salariés à temps plein, dont quatre soigneurs animaliers. « Comme on fonctionne sur le principe du sanctuaire, on ne propose pas les animaux à l’adoption, car il est difficile de réaliser des adoptions pérennes pour les espèces que nous accueillons. Ceux qui arrivent chez nous y restent à vie. En cas de décès d’un animal, théoriquement, une place se libère. Dans les faits, ce n’est pas aussi simple car cela dépend de l’équilibre des groupes », ajoute-t-elle.
Au refuge, tout est pensé pour assurer le bien-être des résidents. « Chaque enclos est construit en fonction des affinités entre animaux », confie Laurent, 45 ans, soigneur animalier sur le site depuis un an. « Présenter un nouvel animal est quelque chose de compliqué. Cela ne s’improvise pas, notamment chez les cochons où la hiérarchie est très importante. » Même la nourriture est préparée selon les besoins de chacun.
« La distribution des repas a lieu matin et soir. En milieu de journée, les animaux ont droit à une portion de fruits et légumes », détaille Betty, 30 ans, soigneuse animalière. Cette dernière est en pleine préparation du repas du soir destiné aux cochons, dans la graineterie. Dans une immense pièce, des dizaines de gamelles de toutes tailles se font face. Betty pioche dans un chariot de 230 litres et en sort une pelle remplie de granules qu’elle distribue tout à tour. « Je connais par cœur le régime de chacun.
Chaque portion est adaptée en fonction de leurs besoins et de leurs goûts. C’est pareil pour les fruits et légumes. » Les granules distribuées ont été élaborées par le refuge et sont entièrement végétales. « Avant, dans le commerce, on trouvait uniquement des aliments destinés à engraisser les cochons. Ces derniers n’ont jamais été pensés autrement que sous leur finalité de jambons. Or, nous voulions créer une nourriture qui les maintienne en bonne santé », ajoute-t-elle.
Des salariés engagés en faveur de la cause animale
Si chaque animal présent au refuge GroinGroin a une histoire, les salariés du site ont aussi un parcours symptomatique de leur engagement en faveur de la cause animale. Avant de devenir chargée de sensibilisation au refuge, Lucie Nayak a été sociologue, chargée de recherche à l’Inserm et à l’université de Liège. « Je travaillais sur des sujets liés à la santé, au genre et à la sexualité », explique-t-elle.
C’est au moment où elle devient vegan que les animaux prennent une tout autre place dans sa vie. « J’ai voulu orienter mes travaux sur la question des relations entre humains et animaux de ferme, hors contexte d’exploitation. Ce travail de recherche, pour lequel j’avais obtenu un financement, consistait à passer deux fois trois mois dans deux refuges antispécistes en tant que bénévole. Quand j’ai découvert le refuge GroinGroin, en 2021, je n’ai plus jamais voulu en partir ! » s’exclame-t-elle.
Arrivé en 2023, Laurent a d’abord été cuisinier puis berger en montagne pendant cinq ans. Cette expérience l’a décidé à arrêter l’élevage. « Je voulais soigner des animaux, pas les envoyer à l’abattoir. J’ai cru au début que je pourrais m’y faire, mais je n’ai jamais pu m’y résoudre. » Le parcours de certains animaux du refuge fait écho au choix de Laurent. C’est le cas du cochon Heston, 12 ans. « Il est né dans un élevage bio. Son éleveur s’est tellement attaché à lui qu’il est devenu vegan et a arrêté l’élevage », confie Lucie.
Si le refuge GroinGroin fonctionne, c’est aussi grâce à l’aide de bénévoles. Certains viennent très régulièrement. D’autres découvrent le site pour la première fois, comme Louis. À 29 ans, ce pharmacien est spécialement venu de la Drôme pour prêter main-forte aux salariés du sanctuaire. « Depuis cinq ans, je suis bénévole dans des refuges animaliers près de chez moi. Je viens filer un coup de main à ceux qui essayent de changer les choses. C’est très important de voir des animaux qui sont bien traités.
Je me renseigne aussi car j’aimerais ouvrir un refuge pour animaux de ferme dans quelques années », confie-t-il. Aujourd’hui, GroinGroin vit grâce aux financements de ses quelque 3 000 « parrains ». Ces derniers peuvent rendre visite à leurs filleuls lors de journées dédiées, les VIPigs Days. « Cela permet de couvrir l’ensemble des frais de chaque animal. Nous avons un discours qui appelle à la fin de l’exploitation des animaux. Pour autant, nous avons une approche bienveillante et non culpabilisante. Nous voulons montrer qu’on peut développer avec ces animaux des relations alternatives, en dehors d’un contexte d’exploitation », rappelle Lucie Nayak.