Le 10 mars 1906, la catastrophe minière de Courrières, la plus grave de tous les temps en Europe et la deuxième au monde, emportait 1 099 vies. Le repos dominical et la création d’un ministère du Travail sont des conquêtes sociales du puissant mouvement de protestation sociale qui a suivi cette tragédie. Mais, à plus d’un siècle de distance, il n’existe toujours aucune structure d’État pour recenser les morts au travail. Aucun outil officiel fiable pour mesurer l’étendue de l’hécatombe silencieuse qui tue en France au minimum deux travailleurs par jour – la pire incidence dans toute l’UE –, sans parler des séquelles à vie laissées aux blessés.
Des ouvriers tombés au travail : voilà qui peine à retenir l’attention politique et médiatique. Quelques entrefilets dans la presse locale, des communiqués syndicaux vite oubliés, des procédures judiciaires le plus souvent enterrées ou closes par des peines ou des amendes dérisoires… Ces morts au travail sont ravalées au rang de faits divers. Elles sont banalisées, individualisées, rendues invisibles alors qu’elles témoignent d’un problème systémique. Et puis, répètent les patrons, que voulez-vous, « le risque zéro n’existe pas ». De tels discours de fatalité sont révoltants, quand ces morts sont dues, le plus souvent, à des négligences, au non-respect des règles de sécurité, aux cadences folles, à la pression, au manque de formation, à la course à la rentabilité, au recours à la sous-traitance en cascade.
Les plus vulnérables, les plus exposés, ce sont les plus précaires, ceux qui sont le moins armés pour contester des conditions de travail les mettant en danger. Pour les protéger, pour sauver des vies, la loi doit changer, instituer des sanctions dissuasives contre les employeurs qui tiennent la sécurité au travail pour un supplément d’âme, un coût à comprimer, alors qu’elle est un impératif social, un investissement. C’est le sens de l’initiative lancée par l’Humanité en faveur d’un observatoire pour recenser les morts au travail, leur rendre un nom, une histoire, un visage, exiger que cesse cette meurtrière injustice envers les travailleurs les plus vulnérables.