Une volonté sans faille. Du haut de ses 46 ans, Marisa Makosso, responsable adjointe d’Onela, spécialisée dans le service à la personne, mène le combat de sa vie. Une bataille pour sa dignité, une lutte pour ses droits. Depuis le 1er février 2024, la travailleuse, initialement accompagnée de douze collègues, s’est mise en grève contre son employeur. Ce jour de mars, une casquette enfoncée sur la tête, mégaphone en main, la femme d’origine camerounaise alerte les badauds, rue Pierre-Charron, à Paris (8e arrondissement), sur son conflit.
Tout commence par une vilaine surprise, en juin 2023. Marisa apprend, par le biais d’une collègue élue CFDT, que les salariés de son service d’astreinte ne travaillent pas uniquement pour Onela, mais qu’ils exercent aussi des missions pour deux autres entités du groupe : les filiales Nouvel Horizon et Nouvel Horizon Paca. Un choc pour la responsable adjointe. « Notre employeur facture les trois entreprises, mais il nous paye en réalité que pour le compte d’une seule société », explique-t-elle.
Un rôle de « deuxième ligne »
Des travailleurs non rémunérés pour leur force de travail. Un classique, mais qui reste terriblement révoltant. Remontés, les salariés exigent alors de la direction des revalorisations de salaire. Huit mois de discussions sans franches avancées, jusqu’au jour où Marisa et ses collègues se déclarent officiellement en grève, en février. Depuis, ils enchaînent les piquets entre le siège d’Onela à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et le siège du groupe Colisée International, propriétaire, rue Pierre-Charron à Paris.
Marisa endosse fièrement le rôle de fer de lance de la bataille. Pourtant, à l’origine, cette habitante de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ne se prédestinait pas à une carrière dans le social. Elle a d’abord jonglé entre des emplois dans la vente et l’événementiel. La rencontre avec le service à la personne est fortuite.
« Initialement, j’avais d’autres projets et travailler chez Onela devait me permettre d’assurer un complément de revenu », explique-t-elle. Marisa découvre alors, sur le tas, le métier aux contours parfois ingrats d’auxiliaire de vie. Elle s’occupe de personnes âgées, récure les toilettes des bénéficiaires, prépare les premiers repas, etc. Pendant trois ans, de 2011 à 2014, cette femme exerce son rôle « essentiel » de « deuxième ligne », comme aimait le dire le président de la République à l’époque du confinement.
Mais, éprouvée par la dureté du terrain, la quadragénaire songe à arrêter. Nouveau coup de pouce du destin, une collègue lui propose d’intégrer l’équipe de coordination d’astreinte. « Ce poste a été une cure de jouvence. Je me suis redécouvert une utilité parce que cela m’a permis de faire la navette entre les salariés et la direction », se souvient-elle.
Marisa retrouve un second souffle. Et une nouvelle famille. Des hommes, des femmes, des jeunes au caractère aussi trempé que celui de la Francilienne. « Quand j’ai rencontré au sein de mon équipe des étudiants en temps partiel aussi motivés que moi et soucieux des gens qui les entouraient, je n’avais pas d’autre choix que de poursuivre mon travail à leurs côtés », ajoute-t-elle. Elle se syndique alors. D’abord au sein de la CFDT, puis troque la chasuble orange pour la rouge de la CGT, où elle se voit rapidement confier plus de « responsabilités ».
« Mon mari me disait d’arrêter de me prendre pour Rachel Keke »
Son engagement ne doit rien au hasard. Grande sœur d’une fratrie de onze, Marisa a toujours eu le sens des responsabilités. Lorsque son père s’éteint en 2011, elle endosse le rôle de seconde matriarche de la famille. Là est l’endroit où elle puise sa force. Et sa volonté de poursuivre le bras de fer contre son employeur. « Nous luttons parce que nos convictions sont fortes. Nous voulons voir les choses changer, explique-t-elle. Pourquoi cela devrait être toujours aux mêmes, salariés, étudiants étrangers, de courber l’échine ? »
À l’écouter, difficile de reconnaître l’innocente gréviste du début. Même son entourage, originellement réticent à la voir s’engager dans cette bataille, ne cache plus son admiration. « Au départ, mon mari me disait d’arrêter de me prendre pour Rachel Keke (ex-porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles devenue députée – NDLR), se remémore-t-elle, le sourire aux lèvres. Aujourd’hui, il est le premier à me féliciter. »
Une satisfaction arrivée à point nommé. « Nous ne sommes plus que six aujourd’hui. Nous n’avons pas beaucoup d’argent dans notre caisse de grève et la plupart des collègues sont des étudiants étrangers », souffle-t-elle. Mais qu’importe. La dame est pugnace, malgré ses traits tirés. « Je me dois de montrer la voie pour les petits jeunes derrière moi. Il est possible de changer les rapports de force. »