C’est une affaire entendue, tout au moins pour le gouvernement ! Le déficit public ne peut être résolu que par de nouvelles coupes claires dans les dépenses sociales et de nouveaux efforts demandés aux plus démunis. « Les mêmes causes produisant les mêmes effets », il y a fort à parier que non seulement les décisions annoncées par le gouvernement ne permettront pas de résoudre les problèmes, mais qu’elles vont au contraire creuser encore les inégalités. En aggravant les difficultés sociales, elles vont enfoncer un peu plus encore notre pays dans la crise multiforme dont il ne voit pas le bout. Depuis au moins quarante ans, on nous répète les mêmes formules, on nous assène les mêmes pseudo-vérités et on nous ordonne de nous soumettre à des lois économiques dont rien ne démontre la pertinence. Aucune réflexion nouvelle dans ce qui est annoncé, les mêmes dogmes sont assenés sans avoir jamais été validés par l’expérience, et même après s’être montrés contreproductifs au regard des objectifs affichés.
Depuis quelque temps déjà, des observateurs alertent sur le caractère quasi religieux avec lequel ces questions sont portées. Même le pape François s’en était alarmé, il y a déjà quelques années, en appelant à « éviter une conception magique du marché ». Si on admet qu’une religion consiste à expliquer le monde, comment il fonctionne, la place qu’y occupent l’humanité et la manière avec laquelle elle doit s’y comporter, alors effectivement le marché est devenu une quasi-religion. Ses grands prêtres ont pour nom le FMI, la Banque mondiale, la Banque centrale européenne et, bien sûr, les sempiternelles agences de notation.
Comme autrefois pour calmer la colère des dieux de l’Olympe, les sacrifices sont censés nous délivrer – des sacrifices humains, bien sûr, mais sociaux, c’est encore mieux. Le divin marché devant lequel il faut se prosterner manifeste des humeurs : on peut « l’inquiéter » par trop de générosité à l’égard des couches populaires ou le « calmer » par des mesures antisociales. Pour « rassurer » le ou les marchés, il est bon de donner des gages de bonne volonté, parmi lesquels les privatisations sont toujours bien reçues, surtout ajoutées à la compression, c’est-à-dire la suppression d’emplois publics. Peu importe que la confrontation avec le réel ne confirme pas, tant s’en faut, qu’il s’agisse de véritables solutions aux problèmes. Une religion n’a pas à se confronter au réel, elle trouve d’ailleurs toujours un moyen de l’interpréter au service des croyances qu’elle véhicule, et haro sur tous ceux et celles qui osent en contester les fondements. Ce sont des hérétiques auxquels il ne faut pas accorder la moindre attention.
Mais alors comment en sortir me direz-vous ? D’abord en refusant de se résigner, bien sûr, et en menant sans relâche la bataille de clarification sur la nature des intérêts en présence. Derrière la « main invisible du marché » se cachent en effet de grandes puissances financières et la cupidité sans limite des quelques possesseurs des plus grandes fortunes mondiales. Mais cela ne suffit pas. Si la société française est l’une des plus antilibérales au monde elle est aussi en quête de sens. C’est à y répondre que doivent s’attacher les forces progressistes. Cela suppose des efforts à la fois conceptuels et de mise en œuvre de pratiques concrètes, individuelles et collectives. La barre est haute, très haute, mais elle n’est pas infranchissable, pour peu qu’on s’y attelle avec détermination.