C’est une victoire pour le monde agricole et un revers pour l’exécutif. Ce jeudi 28 mars, l’Assemblée nationale a adopté contre l’avis du gouvernement la proposition de loi écologiste visant à « garantir un revenu digne aux agriculteurs ». Au total, 89 parlementaires se sont prononcés en faveur de ce texte établissant des prix planchers pour les agriculteurs, 66 contre. Le Rassemblement national s’est pour sa part abstenu, quand Les Républicains étaient absents.
« Nous venons de poser une première pierre absolument fondamentale pour garantir enfin que les agriculteurs puissent vivre de leur travail », s’est satisfaite Marie Pochon, la rapportrice du texte. Un pas en avant que la vice-présidente du Modef, Lucie Illy, appelle à poursuivre en portant d’autres mesures de soutien aux agriculteurs.
Comment accueillez-vous le vote de l’Assemblée nationale en faveur du texte visant à « garantir un revenu digne aux agriculteurs » ?
Nous sommes satisfaits de voir la question de prix minimum garantis rassembler. Cela fait 65 ans que nous nous battons pour cette idée au Modef. Il était temps qu’elle entre dans le débat public et fasse son chemin. Mais attention : nous sommes conscients que le combat est loin d’être gagné, ce n’est qu’un premier pas vers un vrai changement de modèle : préalable incontournable pour une réelle amélioration de la situation des agriculteurs.
Pour cela, il faudra très vite embrayer vers d’autres avancées : la mise en place de coefficients multiplicateurs, pour encadrer les marges des différents intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Le principe : l’État fixe un coefficient, sous la forme d’un taux légal à ne pas dépasser, entre le prix d’achat au fournisseur et le prix de vente au consommateur. Et ce taux s’applique à la chaîne des différents intermédiaires. Avec ce mécanisme, une augmentation des marges intermédiaires passe obligatoirement par une augmentation du prix d’achat au fournisseur. Sans oublier d’établir, par ailleurs, un calendrier d’importation, l’interdiction de vendre à perte ou la fin des traités de libre-échange, par exemple.
Lors du débat, les députés de la majorité ont dit redouter de voir ces prix planchers devenir des prix plafonds… Que leur répondre ?
Didier Gadéa, secrétaire général du Modef, l’explique très bien. Il y a par exemple déjà des prix planchers dans la viticulture. Dans le cadre de la Politique agricole commune (Pac), la France peut mettre en œuvre une « distillation de crise » qui permet d’écouler les vins, qui n’ont pas trouvé acheteur, à un prix plancher (45 euros par hectolitre pour les VSIG (vins sans indication géographique), 65 euros/hl pour les IGP et 75 euros/hl pour les AOP, NDLR). Et pourtant, ces prix ne deviennent pas pour autant des prix plafonds. Le marché n’est pas bloqué, il y a toujours une loi de l’offre et de la demande, mais il est régulé pour protéger les producteurs. Le but, c’est de faire en sorte que les paysans puissent obtenir un revenu digne pour ne plus avoir à vendre à perte.
Par exemple, personnellement, je suis productrice de pomme-poire bio. Quand les cours ont chuté dans le bio, en 2022-2023, j’ai connu une situation critique. Avant cela, je vendais mes pommes 50 centimes le kilo hors taxe. Et du jour au lendemain, on m’en proposait entre 20 et 35 centimes. Sans protection, nous n’avons aucun autre choix que de nous aligner sur ces prix.
Je ne peux pas garder mes fruits trois ans au frigo en attendant que les prix montent, et c’est la même chose pour tous les petits paysans. À ces prix-là, on se débarrasse de la marchandise pour avoir le moins de pertes possibles, mais on ne s’en sort pas. D’où l’urgence d’avoir des prix minimums garantis.
Certains parlementaires opposés aux prix planchers ont tenté de temporiser en évoquant leur volonté d’attendre que la loi Egalim, qui entendait rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs, industriels et grande distribution, soit correctement évaluée. D’autres ont dénoncé la possibilité de voir une agriculture « administrée ». Qu’en dites-vous ?
Sans intervention de l’État, nous n’arriverons à rien. Dans dix ans, la moitié des paysans seront en âge de partir à la retraite. Il faut donc que notre métier fasse à nouveau rêver pour que les jeunes acceptent de s’installer. Sans revenu, il n’y aura pas de renouvellement générationnel. Je veux bien que ce soit un métier passion, mais il faut pouvoir en vivre pour s’y consacrer. Pour cela, l’État doit intervenir davantage.
Et c’est justement cela qui peut permettre à Egalim de fonctionner. Aujourd’hui, beaucoup d’industriels préfèrent payer les faibles amendes plutôt que de l’appliquer. Résultat : les industriels, l’agro-alimentaire et les négociants, continuent de faire la pluie et le beau temps. Et nous les paysans, nous n’avons pas notre mot à dire. L’État doit protéger ses agriculteurs pour sauver son agriculture.