C’est une image fugace ! À peine entraperçue à la télé. On y voit Jordan Bardella s’y prendre les pieds dans le tapis à l’occasion de son grand oral devant la CPME, l’organisation patronale des petites et moyennes entreprises. Sur Internet, je retrouve la séquence. Le président du RN déploie ses propositions devant une centaine de petits patrons et répond aimablement aux questions qui lui sont posées de la salle. Jamais gênantes je vous rassure ! Concentré, sûr de lui, il déroule son programme. Arrive la question sur les seuils sociaux. Vieille rengaine patronale ! Les entreprises seraient empêchées de grandir par la contrainte légale de respecter, à partir d’un certain nombre de salariés dans l’entreprise, des obligations sociales supplémentaires. Les patrons en ont rêvé, Macron l’a fait ! C’est la loi Pacte, qui, depuis le 1er janvier 2020, réduit les seuils à trois niveaux : 11 salariés, 50 ou 250. Elle accorde aussi un délai aux entreprises pour la mise en œuvre de leurs obligations sociales : au moins cinq ans entre le moment où l’entreprise atteint ou dépasse le nombre de salariés et l’effectivité des obligations. Notons au passage que, de ce fait, les salariés sont privés de droits auxquels ils et elles auraient pu prétendre, tels les Chèques-Vacances, le remboursement de certains transports, la mise en place d’un comité social et économique, l’intéressement, la participation, j’arrête la liste.
La CGT, elle, propose que les droits soient applicables aux salariés quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle ils ou elles travaillent. Je reviens à Bardella : « Si nous arrivons au pouvoir, dit-il, le délai accordé aux PME en cas de franchissement du seuil de 50 salariés passera à trois ans. » François Asselin, président de la CPME, le reprend aussitôt : « Pardonnez-moi monsieur Bardella, mais on a déjà un délai de cinq ans depuis la loi Pacte. » Le candidat s’entête et bredouille « pas sur tous les critères ». Bon prince, François Asselin change de sujet et redonne la parole à la salle. Cette scène très brève est révélatrice : d’abord de la désinvolture d’un candidat (et de son équipe) qui se prétend prêt à gouverner mais ne se met pas à jour sur un sujet aussi sensible pour l’assemblée qu’il veut convaincre ; révélatrice aussi d’une certaine connivence entre lui et ces petits patrons, ce qui en dit long sur ce à quoi on peut s’attendre dans les mois qui viennent.
On remarque aussi que Macron est déjà allé plus loin, à ce sujet, que ce que demandait le RN. Il s’apprête même à pousser encore dans ce sens. Il vient d’annoncer, le 16 janvier dernier, son intention d’augmenter tous les seuils de déclenchement des obligations sociales des entreprises, et tant pis pour les salariés, déjà les plus mal lotis, pour lesquels il n’a pas un mot. Le rapport parlementaire qui prépare la loi de simplification prévue pour ce printemps propose même d’autoriser sur les minima salariaux et la durée du travail des dérogations aux accords de branche. Ce que j’en ressors ? C’est l’importance de la question sociale pour jauger les différents programmes en présence. On peut s’opposer dans une campagne électorale, pour gagner des voix, tout en prônant des politiques similaires, en particulier sur tout ce qui touche au rapport fondamental entre le capital et le travail. Dans ce moment de grande confusion et de recompositions politiques tous azimuts, la façon de répondre à la question sociale est le repère fondamental.