La colère paysanne aura-t-elle suffi à faire entendre raison au gouvernement ? En tout cas, ce mercredi 3 avril, l’exécutif aura à cœur de discuter, en Conseil des ministres, de la présentation de la loi « d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture », très attendue par le secteur.
Prévu à l’automne 2023 avant d’être présenté une première fois à la presse en décembre et remanié à la suite de la crise agricole, le texte doit réussir un numéro d’équilibriste : trouver les clés pour s’adapter au réchauffement climatique, préserver la biodiversité et donner des gages aux agriculteurs de renouvellement des futures générations alors que 100 000 exploitations ont mis la clé sous la porte en dix ans.
Plusieurs réunions avec les syndicats ont eu lieu ces dernières semaines, le premier ministre Gabriel Attal avait annoncé plus de 400 millions d’euros d’aides d’urgence et ouvert un chantier sur 62 puis 67 « engagements », plaçant l’agriculture « au-dessus de tout ». Mais, sans grande surprise, la loi d’orientation d’agricole, composée de 19 articles, n’a pas encore été présentée qu’elle est déjà décriée pour sa poursuite d’une agriculture intensive au nom de la « compétitivité agricole ».
Aucune mention sur les prix rémunérateurs pour les paysans
C’est ainsi que le premier article de cette nouvelle loi fait de la souveraineté alimentaire « un objectif structurant » des politiques publiques. C’était l’une des revendications majeures de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).
Elle est définie comme « liée à la production durable de biomasse sur le territoire et à la décarbonation de l’économie ». Cet article « affirme le caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux ».
Une définition bien trop floue qui ne mentionne ni les droits des paysans ni ne fait référence à des prix rémunérateurs pour eux, pourtant évoqués par Emmanuel Macron lors de son passage au Salon de l’agriculture. Mais cette question de la rémunération risque de tout même de s’imposer à l’exécutif.
Mardi dernier, la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale a voté, contre l’avis du gouvernement et de sa majorité parlementaire, en faveur d’une proposition de loi (PPL), portée par la députée écologiste Marie Pochon, « visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agroécologique ». Ce texte sera débattu, ce jeudi, à l’occasion de la niche parlementaire du groupe écologiste.
« La France, qui est pourtant membre de l’ONU, propose une vision de la souveraineté alimentaire qui va à l’encontre de la définition reconnue par l’ONU en 2018 ; or, cette définition internationale s’applique à tous les États membres », déplore Clotilde Bato, coprésidente du collectif Nourrir. « La souveraineté alimentaire, c’est permettre de re-territorialiser les systèmes alimentaires, être moins dépendant des fluctuations des prix des matières premières sur les marchés agricoles, puisque cela a un impact terrible sur les paysans et les citoyens tant en France que dans les pays du Sud », poursuit-elle.
La Confédération paysanne déplore, elle aussi, un « détournement de sens » de la souveraineté alimentaire, qui n’est pas liée à une capacité de production ou à la balance commerciale mais correspond à la liberté d’un pays de choisir son système alimentaire. Les ONG, de voir l’environnement passer à la trappe. « On s’inquiète de ce texte qui parle d’une ”notion d’intérêt majeur“, on craint que cela ne fasse passer l’agriculture par-dessus l’environnement. C’est pour cela que nous allons demander aux parlementaires de l’amender », explique Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne agriculture et alimentation chez Greenpeace.
Suivant la même dynamique que la Commission européenne, qui a récemment enlevé une partie de la Politique agricole commune (PAC) de ses normes environnementales, l’exécutif a entrepris des mesures contre ces mesures vertes au nom de la « simplification ».
L’article 13 du texte prévoit de transformer des sanctions pénales en sanctions administratives en cas d’atteinte à l’environnement ou à la biodiversité. « On ne veut pas être dans une logique punitive et inefficace », se justifie le cabinet de Marc Fesneau. L’article 14 poursuit la même logique. Il permet de rappeler la réglementation et les interdictions concernant les haies, et dans le même temps, il contribue à prévoir des futures dérogations pour leur « arrachage ».
« Accélérer la prise de décision des juges de contentieux »
La FNSEA a également été entendue sur le volet de l’agrandissement des exploitations souvent contesté, comme c’est le cas des élevages intensifs porcins ou de l’installation de méga-bassines. Le premier ministre Gabriel Attal avait déjà entonné la musique en janvier, lors d’une première salve de mesures : « Quand quelqu’un veut déposer un recours contre un projet, il a un délai de deux mois pour le faire. (…) Pour les agriculteurs, c’est un délai de quatre mois. » C’est désormais chose faite. L’article 15 vise, à titre principal, à « accélérer la prise de décision des juridictions en cas de contentieux sur des projets d’ouvrage hydraulique agricole et d’installations d’élevage ».
Dans le détail, les juges n’auront plus qu’un mois pour statuer d’une décision, et ce, en fonction d’un « caractère d’urgence ». « Cette notion d’urgence n’est pas claire. Personne ne sait à quoi elle va donner accès, c’est pour ça que nous sommes inquiets, d’autant que l’accélération de la prise de décision des juges dans ces contentieux réduit les marges de manœuvre des associations », s’inquiète Sandy Oliver Calvo, de Greenpeace.
Le projet de loi vise aussi la création du réseau « France services agriculture », un guichet unique délégué aux chambres départementales d’agriculture pour les futurs exploitants agricoles porteurs de projet. Le hic ? Cela risque de poser des problèmes pour les nouveaux venus qui ne trouvent pas de réponses adéquates au sein des chambres d’agriculture. Cela peut être le cas de ceux disposant d’un modèle en agroécologie.
« Avec la création de France services agriculture, on va juste reproduire cette concentration du parcours auprès d’un acteur unique, alerte Astrid Bouchedor, du mouvement associatif et citoyen Terre de liens. Le risque, c’est de verrouiller le parcours des porteurs de projets à l’installation et d’exclure les acteurs alternatifs. »