A l’invitation de l’association Crimhalt*, les familles des victimes du récent règlement de compte à Marseille viennent de s’immerger au pays de la Camorra. Apprendre des Italiens de l’antimafia comment se positionner face à la violence organisée. Nous étions là avec eux.
Par Frédéric Crotta
Quand la maison d’un patron de la Camorra devient… un commissariat (2/3)
Le bâtiment est flambant neuf. Situé sur Corso Umberto au cœur de Casal di Principe, fief du clan Casalesi, la famille Camorra de Campanie. Une propriété chargée d’histoire. Depuis plusieurs décennies, les autorités italiennes ont pu saisir les biens des mafieux arrêtés. Pas seulement de l’argent et des marchandises, mais aussi les maisons occupées par les principaux patrons de l’organisation et leurs familles. Comme cet immeuble à deux étages appartenant à la famille Schiavone, redoutable mafieux. Anciennement affectée à la police judiciaire, cette maison a aujourd’hui été restaurée et abrite une trentaine d’officiers de la police nationale. C’est un symbole puissant pour l’ensemble de la population. Une manière de se réapproprier le territoire. Mais pas forcément un gage de tranquillité. Comme l’admet volontiers Michaele Pota, surintendant de Casal di Principe : « Nous recevons de temps en temps des menaces anonymes, mais cela ne nous empêche pas de poursuivre notre lutte contre les bandes organisées. L’année dernière, le commissariat a procédé à une importante saisie d’armes appartenant à la mafia.
Les repentants face aux victimes
L’émotion était trop forte. Ouassila n’a pas voulu se dérober, et avant même qu’il parle, elle s’est levée et a caché ses larmes, hors de vue. En face de nous se tient Luigi, un « pentito », un repenti de N’Drangheta. L’homme aux yeux bleus dégage une forte impression et, pour parler franchement, crée un malaise. C’est sans doute ce qui a fait fuir Ouassila, dont le jeune fils Brahim a été tué par un homme armé lors d’une embuscade à Marseille.
Même si le contexte est très différent de la situation marseillaise, un contact avec un tireur mafieux peut sans doute bouleverser les familles de ces victimes françaises.
Luigi raconte en détail le chemin qui l’a conduit ici. Il l’admet volontiers. «J’ai été entraîné à tuer. Dès son plus jeune âge, il est emmené dans les abattoirs pour apprendre le goût du sang. Il a été contraint de torturer et de tuer des animaux. «Je n’ai pas eu d’enfance. J’ai été élevé comme enfant soldat », admet-il. Un enfant qui a traversé toutes les étapes jusqu’à devenir The Boss. Mais pour cela, il devait faire ses preuves en devenant un exécuteur, une machine à tuer. Un homme de sale boulot au sein de cette famille calabraise liée à la N’Drangheta, l’une des organisations les plus puissantes du monde.
« Évidemment, je regrette ce que j’ai fait ».
Il vit désormais comme « un traître ». Avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il a échappé de peu à la mort. Son propre père « déshonoré » participe même à une embuscade. Luigi s’en est miraculeusement sorti, mais en tirant sur son père dans les jambes. Puis, en 2007, il décide de collaborer avec la justice et fait tomber un certain nombre de mafieux. D’abord protégé par la police, il est désormais pris en charge par un groupe d’amis proches. S’adressant aux deux autres Marseillais également touchés par la perte d’un enfant ou d’un neveu, il déclare : « Bien sûr, je regrette ce que j’ai fait. Peu importe combien je demande pardon, je sais que ce n’est pas suffisant.
Luigi prend la parole de temps en temps, en petits groupes, pour raconter son histoire. Une forme de rédemption. Au terme d’un entretien tendu et chargé d’émotion, Atika Saib, tante de Sarah, la jeune femme de 19 ans assassinée par balle de 9 mm dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille en 2020, s’approche de lui. Elle, qui abordait cette rencontre avec appréhension et le cœur lourd, finit par lui serrer la main. Je ne peux pas oublier le mal que vous avez fait, mais je reconnais que vos actions d’aujourd’hui doivent être respectées et applaudies. Même si je peux comprendre ce que vous avez vécu, je comprends surtout la douleur d’une famille qui a subi la perte d’un être cher ».
Article suivant : « Radio Siani les « bonnes ondes » de l’antimafia » (3/3)