Madagascar, Indochine, Cameroun, Algérie… ces guerres de décolonisation et la lutte des peuples pour leur indépendance résonnent encore dans notre histoire commune. En plus de la Palestine, qui vit depuis des décennies l’occupation et un processus de colonisation et d’expropriation, les Nations unies reconnaissent encore aujourd’hui dix-sept territoires non autonomes dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes. La France est directement concernée car la Polynésie française est inscrite sur cette liste depuis 2013, quand la Nouvelle-Calédonie, ou Kanaky, y figure depuis 1986.
Dans ce dernier territoire, l’histoire coloniale est lourde, faite de violence et d’un code de l’indigénat brutal, notamment pour les femmes kanak. Par une colonisation de peuplement, pénitentiaire puis civile, la métropole a acculturé et marginalisé les populations locales, les Kanaks, tant économiquement que politiquement.
Passé de statut de colonie à celui de territoire d’outre-mer en 1946, la violence est restée la norme jusqu’aux événements terribles des années 1980 : meurtres des militants du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), incendies des maisons des Caldoches, assassinat de gendarmes. Au lendemain du drame et de la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa sont signés, le 26 juin 1988, les accords de Matignon, qui seront renouvelés par les accords de Nouméa le 5 mai 1998. Ces textes posent les bases juridiques et politiques d’un processus original de décolonisation et reconnaissent les souffrances et les injustices subies par les Kanaks durant la colonisation. Il s’agit alors de bâtir un destin commun entre tous les habitants.
Ces accords sont fragiles et reposent sur un équilibre, un contrat passé entre toutes les parties et l’État. Le gel du corps électoral en 1988, pour les vivants et leurs descendants, a été acté pour empêcher la sous-représentativité des Kanak.
Le gouvernement français vient pourtant de prendre une lourde décision en voulant passer en force sur deux projets de loi. Ceux-ci peuvent bouleverser l’équilibre entre le peuple premier ou autochtone, les Kanak, et les Caldoches, descendants de vagues d’immigration européenne et asiatique.
Les deux textes à l’ordre du jour veulent repousser les élections des assemblées de province et celles du Congrès de Nouvelle-Calédonie, et imposer le dégel du corps électoral, qui nécessitera une réforme constitutionnelle.
Voter à la va-vite ces deux textes revient donc à bouleverser cet équilibre, si chèrement obtenu, et rompre la paix civile. N’ouvrons pas un nouveau cycle d’affrontement politique. La démocratie est la seule issue. Le FLNKS revendique un quatrième référendum, après avoir boycotté le troisième sous le Covid, car il pointe à juste titre la marginalisation économique des Kanak. La crise du nickel, au cœur d’une concurrence mondiale, a en effet fragilisé le secteur essentiel de l’économie locale.
Il faut donc que l’État remette chaque acteur autour de la table pour trouver une nouvelle issue et un nouveau transfert de compétences conduisant à une plus grande autonomie encore et vers une totale indépendance dans la prochaine décennie. La Nouvelle-Calédonie a trop attendu et reste avec son voisin polynésien les deux derniers territoires à décoloniser. Ne prenons pas encore du retard, n’enterrons pas de nouveau le processus. Notre solidarité est totale avec le peuple kanak comme avec tous les peuples du monde qui luttent pour leur indépendance.