C’était il y a soixante-trois ans. Le 17 octobre 1961, six mois avant les accords d’Évian sur l’indépendance de l’Algérie, 30 000 Algériens bravent l’interdiction de manifester décidée par le préfet de police de l’époque, Maurice Papon. Ils défilent pacifiquement dans les rues de Paris contre le décret du 5 octobre, qui instaure un couvre-feu discriminatoire aux « Français musulmans d’Algérie ». La répression des « forces de l’ordre » est terrible.
De nombreux manifestants sont jetés dans la Seine, criblés de balles et passés à tabac. Si le bilan officiel fait état de trois morts et d’une soixantaine de blessés, dont certains sont expulsés ou internés après identification plutôt que d’être hospitalisés, les historiens considèrent aujourd’hui que près de 200 personnes ont été assassinées cette nuit-là… Au point de faire dire à Emmanuel Blanchard, historien, qu’il s’agit là de la répression la plus meurtrière en Europe de l’Ouest depuis 1945.
La mention de « crime d’État » : ligne rouge de l’Élysée
Cette histoire a longtemps été occultée, malgré le travail constant de journaux, d’associations et de partis pour faire éclater la vérité. Si François Hollande a finalement déclaré en 2012 que « la République reconnaît avec lucidité ces faits » et qu’Emmanuel Macron, en octobre 2021, a participé aux commémorations sur le pont de Bezons (sans toutefois consentir à prendre la parole), la responsabilité de l’État tarde à être gravée dans le marbre.
C’est donc dans un objectif de « reconnaissance » et de « condamnation du massacre des manifestants algériens » qu’une proposition de résolution, portée par la députée écologiste des Hauts-de-Seine Sabrina Sebaihi, sera débattue ce jeudi. En cas d’adoption, elle permettra d’inscrire une « journée de commémoration à l’agenda des cérémonies officielles ». « Cette initiative est un premier pas vers une forme de rattrapage face à ce qui est pour la France un point noir de son histoire », estime l’élue de Nanterre, « d’où sont partis un certain nombre de manifestants ».
Ce n’est pas la première fois que la parlementaire s’active sur ce sujet. Au mois d’avril 2023, une résolution avait déjà été déposée par ses soins avant d’être retirée vu ses faibles chances d’être votée. « Pour favoriser son adoption, le texte a fait plusieurs allers-retours avec l’Élysée, expose Sabrina Sebaihi. La notion de crime d’État a créé un certain nombre de crispations, c’était une ligne rouge de la présidence qui considère que ce serait inexact, Charles de Gaulle n’ayant pas été donneur d’ordres… Le fait d’instituer une journée de commémoration a aussi donné lieu à de longues semaines de débats, mais sur ce point je n’ai pas voulu lâcher. Je regrette l’ambivalence du pouvoir : entre l’affichage et la frilosité. Mais nous devons avancer pour apaiser un grand nombre de personnes. »
Reste que cette adoption éventuelle ne constitue, pour l’écologiste, qu’une étape vers la reconnaissance d’un « crime d’État » à laquelle elle n’entend pas renoncer : « Même si le sujet est très sensible, il faudra poursuivre le travail des historiens pour remonter l’entièreté de la chaîne des responsabilités afin de faire toute la lumière sur les zones d’ombre. » Le chemin de la réparation est encore long.