ans la rue de la Tombe-Issoire, dans le 14e arrondissement de Paris, une banderole déployée par des étudiants sur la façade vitrée de la résidence universitaire Jourdan donne le ton : « JO, précaires à la rue. » Une autre, déroulée devant la résidence de l’École d’architecture de la ville et des territoires Paris-Est, à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), proclame : « Non à la réquisition ! » Des slogans signés La Rescrous, un collectif d’étudiants « pour protester contre (leur) expulsion lors des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) ».
3 263 logements étudiants concernés
Ces deux résidences universitaires, comme dix autres en Île-de-France, seront réquisitionnées pour loger « le personnel de l’État » durant l’événement sportif. Cette année, le bail des étudiants logés dans les 3 263 logements concernés s’arrêtera donc le 30 juin. Ils devront avoir quitté les lieux pour les mois de juillet et août. Certes, une solution de relogement leur a été proposée.
« Mais on manque d’informations, on est dans le flou », livre Florian, membre du collectif, hébergé à la résidence Jourdan depuis deux ans. « J’ai un premier jet à rendre pour mon mémoire de fin d’année et, depuis janvier, je suis en stage. Le relogement et le déménagement, c’est une source d’angoisse supplémentaire dont on n’a pas besoin », enrage Laura (1), étudiante en théâtre, installée dans la résidence des Poissonniers, à Paris, depuis quatre ans.
Un combat judiciaire avait été lancé à l’été 2023 sur la question de la réquisition des résidences universitaires pendant les jeux Olympiques de Paris. Le syndicat Solidaires étudiant avait obtenu la suspension des réquisitions des logements Crous au tribunal administratif de Paris. Une décision finalement invalidée en décembre par le Conseil d’État, saisi par le Crous.
« Le Crous devait me rappeler pour me faire une proposition, mais j’attends toujours ! »
Laura, étudiante en attente de relogement
Depuis, le dossier semblait clos. « Les mois précédents, avec les partiels, il était compliqué de se mobiliser contre les expulsions. Aujourd’hui, nous voulons passer à l’attaque », lance Sial, étudiant en troisième année de licence de langues, littératures et civilisations étrangères, logé à la résidence Marthe-Gautier, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
« Ce logement n’est pas une chance, c’est un droit »
Où, comment et surtout quand ? Plusieurs étudiants dénoncent un manque de visibilité. Début mars, le Crous a commencé à « contacter les étudiants un par un », pour échanger autour de chaque situation. Les relogements « se feront au fil des places libérées dans les résidences à compter de la fin mars », précise l’organisme.
Cette campagne fait suite à un questionnaire envoyé à près de 2 900 étudiants portant sur leurs souhaits pour cet été ; 1 448 ont répondu vouloir être relogés et 537 ont refusé. Laura se dit opposée « à ce dispositif ». Mais par crainte de s’engager « dans un combat énergivore et épuisant », elle a accepté la solution du relogement : « Le Crous devait me rappeler pour me faire une proposition, mais j’attends toujours ! »
Difficile, du coup, de se projeter. Sial peut en témoigner : « Je voulais travailler à côté de ma résidence. Mais je ne sais pas où je serai relogé. Ce flou nous empêche de nous organiser. » Même situation pour Léo , installé à la résidence Francis de Croisset, à Paris, dans le 18e arrondissement, depuis un an et demi, qui sera cet été en stage dans la capitale. Tous deux n’ont pas encore de solution de relogement. Laura souffle : « Ce logement n’est pas une chance, c’est un droit. Notamment pour les plus précaires. Pour les JO, les étudiants vont devoir payer les pots cassés. »
Kawtar 1, étudiante étrangère en management culturel et communication trilingue depuis quatre ans, résidant elle aussi à la résidence Francis de Croisset, a prévu de rentrer au Maroc cet été pour revenir à la rentrée prochaine dans son logement. Mais où mettre ses affaires, son électroménager et ses meubles durant ce laps de temps ?
Le Crous leur avait affirmé qu’un local « serait disponible pour stocker, en juillet et août, les affaires des étudiants qui le souhaitent ». Pourtant, « on m’a dit récemment qu’il n’y aura pas de local disponible », se tracasse la jeune femme.
100 euros et deux places aux JO
Du côté du gouvernement et du Crous, on se veut rassurant et conciliant. La ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, a annoncé que 100 euros allaient être distribués à chaque étudiant, ainsi que deux places pour assister à des épreuves des JO.
Et le Crous le promet : « Tous les étudiants seront relogés » au sein des « 30 % de logements universitaires » qui, « chaque année », ne sont pas occupés en période estivale. « Des camions de déménagement » ainsi que « du personnel » faciliteront les relogements. « Le tout, sans surcoût pour les étudiants. »
« Le Crous s’engage à reloger les étudiants sous réserve de logements vacants. Mais il y a une incertitude, car il se base sur le chiffre de 30 % de logements vacants annuels. C’est l’année des JO, on ne peut pas savoir si la situation sera la même », s’inquiète Marion Ogier, avocate du syndicat Solidaires étudiant.
Des arguments qui seront donnés au tribunal administratif, saisi par Solidaires étudiants, après le non-lieu prononcé par le Conseil d’État. Pour l’avocate, « il y a une erreur manifeste d’appréciation car le Crous s’est éloigné de sa mission, indépendamment du droit applicable ». Une première audience aura lieu le 29 mars, à Melun, et devrait être suivie d’autres sessions, à Versailles et à Paris.
Élus franciliens de gauche, associatifs et bailleurs sociaux publics lancent un cri d’alerte pour le logement social. Alors que 80 % des Franciliens y sont éligibles, l’attente pour les plus de 800 000 demandeurs recensés en 2023 est d’environ onze ans. « La crise du logement s’aggrave de jour en jour. Le gouvernement ne prend pas la mesure de ce qu’il se passe », dénonce Patrice Leclerc, maire PCF de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Le logement social est pourtant « la solution », selon les élus de gauche. Mais pour bâtir du logement social, il faut avoir les moyens. Delphine Valentin, présidente d’Île-de-France Habitat, un bailleur social public, déplore la chute des subventions de l’État et des collectivités en vingt ans. « Nous avions 15 % à 20 % de subventions au début des années 2000 ; aujourd’hui, c’est 7 % environ. » Il faudrait pourtant construire plus de 37 000 logements sociaux par an pour faire face à la crise. Samedi, place de la République à Paris, la Confédération nationale du logement (CNL) organise à 14 h 30 un rassemblement.
« On sent qu’il y a subitement un regain d’intérêt pour nous »
À l’heure où l’événement sportif s’approche à grands pas, la Ville de Paris en profite pour se refaire une beauté express. Résidences universitaires comprises. « On galérait pour avoir une réponse sur les problèmes de la résidence. Il y a quelques jours, on a reçu un mail qui nous demandait enfin des précisions à ce sujet », raconte Florian.
Même son de cloche pour Laura, qui a reçu un mail similaire en janvier : « Des agents sont même venus faire l’entretien des VMC, je n’ai jamais vu ça en quatre ans ! » Du côté de la résidence Francis de Croisset, « des personnes sont venues, il y a une semaine ou deux, pour constater les réparations à faire. Alors qu’on a un ascenseur qui ne fonctionne pas depuis cinq mois. On sent qu’il y a subitement un regain d’intérêt pour nous », constate avec ironie Léo.
En attendant, les étudiants continuent de se battre. Le collectif la Rescrous appelle à un rassemblement le 6 avril, devant le ministère des Sports.