Ce que le gouvernement – et ceux qui l’ont précédé – fait à la jeunesse de Seine-Saint-Denis, c’est peut-être avec Noureddine qu’on le comprend le mieux. Ce grand gars, à la carrure massive et à l’épaisse toison de cheveux noirs bouclés, est venu à la manifestation parisienne avec une trentaine de ses camarades du lycée Blaise-Cendrars de Sevran.
Celui-là même où, la semaine dernière, quatre enseignants ont été menacés de sanctions pour avoir participé à une vidéo dénonçant, images à l’appui, la vétusté de leur établissement. D’ailleurs, « on est venus pour soutenir nos profs », mentionne d’emblée cet élève de terminale, avant d’ajouter : « L’an dernier, je n’ai pas eu de prof de français pendant plus de quatre mois. » C’était l’année du bac de français…
Et puis il égrène : « On a huit AED (assistant d’éducation, auparavant appelé surveillant) pour 1 200 élèves, une seule AESH (assistante d’élèves en situation de handicap), pas d’infirmière le lundi et le jeudi, pas d’ascenseur, des trous dans le plafond, des toilettes sans lumière… » Le quotidien indigne et décourageant de si nombreux établissements en Seine-Saint-Denis.
« On veut juste l’égalité des chances, être traités au même niveau que les autres »
Mais cela n’empêche pas Noureddine, qui décoche un grand sourire quand on suspecte qu’il est plutôt un bon élève, de s’accrocher à ses rêves, alors qu’il vient de faire ses vœux dans Parcoursup : « Je veux faire une école d’audiovisuel. » Seulement, voilà : « Dans la plupart de ces écoles, quand ils voient qu’on vient de Sevran… il y a des préjugés. » Et si ces préjugés lui barrent la route, « j’essaierai de faire quelque chose de proche », se rassure-t-il, avant d’ajouter, comme pour lui-même : « On veut juste l’égalité des chances, être traités au même niveau que les autres. »
Cette phrase résonne tout au long du cortège des enseignants de Seine-Saint-Denis, massif et dynamique, en tête de la manifestation interprofessionnelle des services publics, ce mardi 19 mars. D’ailleurs, « s’ils ne nous avaient pas mis en tête, on l’aurait prise » sourit Basile Ackermann, professeur des écoles à Aulnay-sous-Bois et militant à la CGT Éduc’action. « Notre département est à la fois le plus jeune et le plus pauvre de France, reprend-il, mais aussi celui qui a le plus fort taux de natalité : si la nation se préoccupe de son propre avenir, elle devrait accorder toute son attention à notre jeunesse. Pourtant, l’école y est encore plus précarisée qu’ailleurs. »
Pierre et Gabrielle1, enseignants au collège Jean-de-Beaumont à Villemomble, ne nous épargnent pas la litanie des « toilettes endommagées, pas de rideaux dans les salles, cafards et souris… comme partout ». Mais, surtout, ils dénoncent, avec le « choc des savoirs », « une réforme de tri social qui va stigmatiser nos élèves », mais aussi « casser les groupes de classe, casser les collectifs et les réflexions collectives ».
Pas de prof de musique pendant deux ans, ni de prof d’espagnol pendant cinq mois…
Éloïse
professeure d’histoire-géographie au collège Le Parc à Aulnay, en est à son neuvième jour de grève depuis le 26 février. Elle souligne le soutien et l’implication des familles dans le mouvement : « Vendredi dernier, pour la journée collèges déserts organisée avec la FCPE, on a eu à peine 100 élèves, sur 650. » Elle dresse la liste des enseignants non remplacés sur de longues durées : prof de musique, deux ans, prof d’espagnol, cinq mois, prof de techno, deux mois…
Elle porte une pancarte qui raconte, dessin à l’appui, qu’au printemps 2023, pendant deux semaines, ce sont des… scarabées qui tombaient du plafond en pleine classe, à cause d’un toit endommagé depuis plusieurs années, dans un établissement construit dans les années 1970 et où il est interdit de planter des punaises dans les murs en raison de la présence d’amiante.
Présent, comme à la plupart des manifestations depuis le début du mouvement, le député Stéphane Peu (PCF), coauteur du rapport parlementaire de 2023 sur l’action de l’État dans le département, met en perspective les choix du gouvernement : « Demander 350 millions pour un plan de rattrapage d’urgence en Seine-Saint-Denis, ce n’est pas illégitime quand on se souvient qu’Emmanuel Macron a trouvé 1,2 milliard pour son “école du futur”, à Marseille. »
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