Qui harcèle, sème l’intranquillité et la haine dans la paisible commune de Thiverval-Grignon (Yvelines) ? Ce ne sont pas les réfugiés étrangers, accueillis sans problème dans d’anciennes résidences étudiantes d’AgroParisTech, mais bien l’extrême droite.
Fin février, 195 réfugiés ayant obtenu le droit d’asile à Mayotte ont été transférés en métropole. Une majorité de femmes et d’enfants originaires du Rwanda, de Somalie, du Burundi ou de la région du Kivu, au Congo-Kinshasa, théâtre d’une guerre civile. Sous statut de réfugiés politiques, ils ont été logés au domaine de Grignon, où Emmaüs Solidarité est chargé par la préfecture de gérer l’hébergement.
Mais, à peine la nouvelle annoncée, le président du RN, Jordan Bardella, s’empresse de crier au scandale : « Message envoyé : entrez clandestinement à Mayotte, vous pourrez être rapatriés en métropole et logés dans un château du XVIIe siècle ! » Le lendemain, Marion Maréchal, autre tête de liste de l’extrême droite aux européennes, se rend sur place et argue que « nos châteaux sont transformés en camp de migrants ».
Les salariés d’Emmaüs choqués
Qu’importe si ces réfugiés légaux ne sont en réalité pas logés dans le château, vide et non chauffé… Le dimanche 3 mars, un groupe de militants d’extrême droite fait irruption dans le domaine, fumigènes à la main et chants racistes aux lèvres, avant d’être vite maîtrisés par les gendarmes. « C’est inacceptable d’avoir des réactions comme celle-là, déplore Lotfi Ouanezar, directeur d’Emmaüs Solidarité. De telles intrusions dans le centre, c’est intolérable. Les réfugiés n’y ont pas assisté directement, mais les salariés de l’association sont choqués. »
Élue au conseil municipal, Claire Landry est, elle aussi, indignée : « C’est de l’instrumentalisation totale. Les réfugiés ne logent pas dans le château, mais dans un bâtiment à part, qui appartient à la résidence étudiante, équipée pour accueillir les gens. » L’extrême droite n’en est pourtant pas à son coup d’essai sur le site. Reconquête avait déjà organisé, l’an dernier, une manifestation devant le portail du domaine, en opposition, cette fois-ci, à l’accueil de 200 sans-abri, dont de nombreux réfugiés, en pleine période hivernale.
Plusieurs habitants de la commune étaient venus faire face à cette démonstration de haine pour y opposer leur solidarité. De fait, le fossé est béant entre l’exploitation politicienne de l’extrême droite et l’attitude responsable de la population locale. « L’an dernier, nous avons occupé le site six mois pour accueillir des familles, rappelle Lotfi Ouanezar. Nous avons pu scolariser des enfants, les parents du coin ont apporté des jouets, des vêtements, il y a eu des échanges intéressants entre les enfants. Tout a fonctionné entre l’État, la mairie, les riverains. C’est plutôt une opération exemplaire. »
Des riverains cyber-harcelés par l’extrême droite
Mais la fachosphère, sur le modèle de ce qui s’est passé à Saint-Brevin (Loire-Atlantique) ou Callac (Côtes-d’Armor), tente de pourrir la situation, jusqu’à s’en prendre aux habitants de la commune. Interrogée par la presse le 27 février, une résidente en a fait l’amère expérience. Pour avoir affirmé face caméra que l’accueil se passait très bien, elle a dû affronter une vague de cyberharcèlement. « Incitation à la torture, à la violence, et même au viol », décrit, consternée, sa nièce.
C’est elle qui a découvert, avec sa grande sœur, au moins 600 tweets. « J’ai pu lire des messages comme : “Tu seras violée et on te laissera crever au coin de la rue comme les migrants.” De la barbarie, des commentaires comme je n’en avais jamais vu. J’ai mis un moment à m’en remettre. Je trouve ça déplorable. L’extrême droite accuse les migrants de voler, de casser ou tuer, mais, en réalité, ce sont les fachos qui menacent, intimident et harcèlent les gens. » La famille a porté plainte. « Aujourd’hui, ma tante n’a pas peur des réfugiés, mais des militants d’extrême droite », s’alarme la nièce.
L’agent perturbateur dans cette histoire reste clairement les identitaires. « Tout se passe très bien à chaque fois que nous accueillons des réfugiés. Cette année, nous n’avons pas été très impliqués car les enfants n’ont pas eu le temps d’être scolarisés. Mais si cela avait été plus long, ça n’aurait pas été un problème ! »
Marie, enseignante à l’école primaire, a travaillé avec les enfants des familles des habitants et des réfugiés en 2023. « Je n’ai reçu aucun retour négatif. Plutôt une solidarité. Certains parents trouvaient super que des enfants d’autres pays soient là. » Les réfugiés ont, depuis, été dirigés vers des centres d’hébergement en province. Les dernières familles sont parties de Grignon le 13 mars, sans faire plus de vagues qu’à l’arrivée.