« Tu ne méritais pas de mourir ainsi. Tu ne méritais pas d’être traité de cette manière pendant tes derniers instants passés dans ce monde cruel. J’espère toujours que justice soit faite. » Ce sont les propos, rapportés par l’association Utopia 56, de l’épouse de Fikeru Shiferaw, mort noyé dans la Manche, dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021, avec 26 autres personnes en quête d’asile sur le territoire britannique.
La mère de famille, restée en Éthiopie, a déposé, ce 15 mars, une requête indemnitaire auprès du tribunal de Lille. Elle est accompagnée dans sa démarche par l’association Intérêt à Agir, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et Utopia 56 « pour mettre en lumière les carences de l’État et dénoncer une politique mortifère aux frontières », indique un communiqué commun aux trois structures, précisant que la « requête fait suite à une demande préalable, restée sans réponse, envoyée il y a plus d’un an à la Première Ministre. »
Quinze appels de détresse émis aux autorités françaises
Dans une première plainte déposée moins d’un mois après le drame, les deux seuls rescapés avaient déclaré que cette nuit-là, plusieurs appels de détresse avaient été portés aux garde-côtes des deux rives de la Manche, en vain. « Quand on appelle la France, ils nous disent de contacter le Royaume-Uni » et vice-versa. « Aucun secours ne leur aurait été immédiatement apporté », avaient-ils déclaré, à l’époque, selon Utopia 56.
L’information judiciaire sur cette affaire est toujours en cours. Dans ce cadre, sept militaires français et une dizaine de personnes suspectées d’être des passeurs sont déjà inculpés. Certains éléments d’enquête indiquent que les militaires à bord du patrouilleur militaire Le Flamant, naviguant sur zone cette funeste nuit avaient manqué à leur obligation de veille permanente sur le Canal 16 de leur radio VHF. Pourtant, pas moins de quinze appels de détresse auraient été émis après le naufrage à destination des autorités françaises.
Alors que plus de 3 350 personnes ont traversé́ la Manche depuis janvier 2024, 10 individus, au moins, se seraient noyés sur cette période. Le 3 mars, c’est une fillette de 7 ans qui a trouvé la mort, à l’embouchure de la mer du Nord, près de la commune de Watten, en tentant de rejoindre le Royaume-Uni.
Un syrien de 27 ans, parti le même jour sur une autre embarcation est, lui, toujours porté disparu. Mardi 12 mars, quatorze associations ont indiqué avoir saisi le parquet de Dunkerque pour que l’enquête soit rouverte et que les recherches reprennent. L’oncle du jeune Syrien a déposé une main courante.
« En saisissant la justice aux côtés des victimes, nous entendons rappeler que ces drames ont une portée universelle, à laquelle nous pourrions remédier en mettant fin aux politiques meurtrières de non-assistance en mer et en œuvrant au contraire pour des politiques de migration et d’asile fondées sur les droits fondamentaux », insiste Patrick Baudouin, le président de la LDH.