Olivier Petitjean
Coordinateur de « l’Observatoire des multinationales »
Vous scrutez les liens entre les milieux d’affaires et politiques à « l’Observatoire des multinationales ». Comment s’organise la porosité entre ces deux mondes ?
La porosité entre milieux d’affaires et politiques ne date pas d’hier. Ce qui est nouveau, c’est la normalisation de ces liens qui ne s’affichaient pas au grand jour jusque-là. Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a officialisé cette nouvelle situation. À la proximité traditionnelle des hauts cadres de l’État avec ceux du secteur privé, tous issus des mêmes milieux sociaux, des mêmes écoles, qui se caractérisait par le pantouflage des hauts fonctionnaires dans les grandes entreprises, se conjugue désormais le phénomène de « revolving door ». Ce système de « portes tournantes » permet des allers et retours du public vers le privé. Le parcours d’Édouard Philippe en donne un exemple, du cabinet d’Alain Juppé au ministère de l’Écologie, à la direction d’Areva, puis de Matignon à la mairie du Havre avec, en parallèle, un siège au conseil d’administration d’Atos.
Comment les décisions politiques sont-elles modifiées par ce lobbying d’un nouveau genre ?
Quand on parle de lobbying, on imagine des gens venant de l’extérieur influencer les décisions. Mais tous ces gens sont à l’intérieur et prêchent des convaincus. Les personnels qui décident, régulent, sont d’autant moins porteurs de l’intérêt général qu’ils ont déjà travaillé pour ces intérêts privés ou pourront le faire un jour. Voilà pourquoi Attac revendique de séparer l’État du Medef comme on a séparé l’Église de l’État. Recruter un ancien fonctionnaire, un ancien ministre, permet d’obtenir les informations avant les autres et d’avoir la garantie d’être écouté par son interlocuteur dans le public. Si le président de TotalEnergies demande un rendez-vous à Emmanuel Macron, il l’obtient dans l’heure. Pour une association ou un syndicat, cela sera beaucoup plus compliqué.
Quelles décisions au niveau européen ont été récemment modifiées par des intérêts privés ?
Les UberLeaks ont révélé un flagrant délit d’influence d’Uber sur le président de la République. Mais c’est une exception. On se rend plus souvent compte des effets du lobbying sur les positions prises par la France au niveau européen quand celles-ci vont à l’encontre de l’avis des députés Renew. C’est le cas de la directive sur les travailleurs des plateformes, que la France a tenté de saborder en portant les intérêts des entreprises du secteur. Idem pour celle consacrée à l’intelligence artificielle, dont les seuils réglementaires ont été amoindris par la France. Quant à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, Paris s’est fait le porte-parole des milieux financiers français et des fonds d’investissement de type BlackRock pour l’amoindrir. Il s’agit de conforter la place financière de Paris après le Brexit.
Des garde-fous existent-ils ?
Un registre existe depuis 2017 en France sur lequel doivent figurer tous les représentants d’intérêt, leurs dépenses et leurs contacts avec des décideurs. Un nouveau décret devrait l’améliorer. Mais pour être plus efficace, il faudrait encadrer les « revolving doors », surtout dans un même secteur. La nomination de Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française, à la tête de l’autorité des marchés financiers, ne devrait pas être possible. Autre mesure : limiter plus strictement les actions de greenwashing et de mécénat des grands groupes, ainsi que leur contrôle des médias. Mais si on veut vraiment que la puissance publique puisse résister à l’influence privée, il faudrait que les services publics retrouvent l’expertise que des vagues successives de suppressions de postes ont affaiblie. Il faut reconstruire les capacités internes de l’État.