À 50 ans, Ismaël enchaîne les premières fois. Il y a près d’un an, à Arras, il découvrait les cortèges des manifestations. À l’époque contre la réforme des retraites. Ce vendredi, à Lille, c’est au tour des meetings. En l’occurrence, celui de Léon Deffontaines, tête de liste communiste pour les élections européennes du 9 juin prochain. « Ça m’intéressait de venir l’écouter en vrai, confie le chef opérateur en maintenance industrielle originaire de Meurchin. J’en peux plus de voir autour de moi la galère des jeunes en intérim, en CDD, à temps partiel, et des plus âgés comme moi qui s’épuisent au travail pour trop peu. Il faut parler travail ! ».
Pour lui, l’année écoulée a été celle du déclic politique. Après un premier défilé, puis un deuxième à Lille, il est marqué par une prise de parole précédant une dernière mobilisation, cette fois à Lens. « Un gars a pris le micro pour nous raconter l’histoire de la grève des mineurs, se souvient-il en frottant sa longue barbe. En 1963, presque 80 000 personnes se sont mobilisées et elles ont eu gain de cause. Ça m’a donné à réfléchir, forcément, même si nous, en 2023, nous n’avons pas obtenu la victoire. Et si on se donnait les moyens de la revanche ? » On ? Il s’en excuse presque, il n’est « pas totalement un ouvrier », mais le « chef » insiste : « Je me tue au travail quand même. Quand Roussel ou Deffontaines parlent de la France du travail, j’entends aussi parler de moi ». Alors le voilà, au moins « pour voir ».
Répondre aux situations d’urgence
Comme lui, ils sont venus nombreux assister à ce rendez-vous de lancement de campagne. Dans un lieu et à une date symboliques. Sur les terres du secrétaire national du PCF, le député du Nord Fabien Roussel, et le jour des 80 ans de l’adoption du programme du Conseil national de la résistance (CNR). Armelle, 75 ans, venue de la commune d’Annœullin, à près de trente kilomètres d’ici, tient au symbole, elle qui est fille de déporté. Alors que les spectateurs gagnent les chaises qui entourent le pupitre sur lequel s’appuieront les candidats lors de leurs prises de paroles, cette militante communiste depuis l’âge de 16 ans explique, émue : « Je suis fière que nos idées soient encore représentées par ce jeune. Un jeune qui parle des ouvriers et aux ouvriers. Qui d’autre le fait à gauche aujourd’hui ? C’est bien de parler de l’Ukraine, il faut le faire, mais il y a des situations d’urgence en France qui mérite une attention particulière ! »
Au micro, justement, plusieurs membres de la liste viennent parler de leur réalité. Heloïse Dhalluin, conseillère régionale locale et agent de maîtrise à la SNCF, souligne les dégâts causés par les « politiques libérales » sur la qualité de l’offre de transport et, in fine, sur le « quotidien des salariés, des usagers, et de tous les citoyens ». Eddie Jacquemart, lui aussi originaire du Nord, affiche, en président de la Confédération nationale du logement, sa volonté de voir « des logements décents et abordables pour tous ».
Enfin, Manon Ovion, syndicaliste qui a mené l’année dernière la grève des salariées de l’entreprise de vêtements Vertbaudet du site de Marquette-Lez-Lille pendant 84 jours, et ce jusqu’à obtenir des augmentations conséquentes, dénonce « ceux qui font de l’Europe une machine de guerre contre nos emplois ». Les yeux rivés vers le centre de la salle, Tony, 39 ans, contrôleur et membre de la section PCF d’Armentières, « plus grande section de France », boit du petit-lait : « La parole est aux ouvriers et pour les ouvriers ! ».
La guerre en Ukraine au cœur des débats
Après quelques mots de Fabien Roussel, appelant à se « battre pour mettre le travail, le pouvoir d’achat, et nos retraites, au centre de cette campagne », Léon Deffontaines déroule : « Nous sommes sur les terres du Nord, des terres de luttes, de combats, et de victoires sociales. Et nous sommes aussi dans le département qui, en nombre de voix, a le plus voté contre le traité constitutionnel européen de 2005. À ceux qui n’ont pas eu leur mot à dire sur les termes de la construction européenne, aux victimes de l’Europe néolibérales, je veux vous dire : nous allons relever la tête ! »
Très vite, la salle est invitée à prendre la parole. Sans surprise, après les questions de pouvoir d’achat, de salaires, et de services publics, la guerre en Ukraine occupe une bonne partie des débats. Quelle alternative dessiner à celle, guerrière, d’Emmanuel Macron ? « Le Parti communiste français porte dans son ADN le combat pour la paix. Quand j’entends le président dire que rien ne doit être exclu concernant notre engagement autour de ce conflit, cela veut dire que tout est possible. Et cela, nous ne pouvons l’accepter ! ». Après deux heures d’échanges vifs, Léon Deffontaines conclut : « Certains voudraient nous faire croire que ces élections sont un match entre deux camps : Renaissance et le Rassemblement national. C’est en vérité un match amical : ni l’un, ni l’autre, n’ont défendu les intérêts des Français au Parlement européen. L’un ne vient pas, l’autre signe les traités de libre-échange. Il existe un bulletin pour reprendre la main, c’est le nôtre ! »
À la sortie de la halle aux sucres, théâtre de ces échanges, Danièle et Marc, mère et fils de 58 et 31 ans, refont le match, tout heureux de voir « une gauche revenir aux fondamentaux ». Ils respirent, eux qui viennent tout droit des rives de la France Insoumise après avoir quitté, peu de temps avant, celles du hollandisme. Très vite, un invité surprise surgit dans la conversation : le Rassemblement national. Parti qui, dans le département du Nord, a obtenu six sièges de députés sur dix-huit circonscriptions en 2022. « Il faut absolument dire autour de nous, aux gens qui peuvent être tentés par ce choix, qu’il existe une différence entre l’image qu’il veut se donner et ses votes dans les différents Parlement. C’est une escroquerie ! » pense tout haut Danièle. Marc, les yeux tournés vers ses chaussures, piétine : « Ça va en faire du monde à aller voir, maman ». Plus que trois mois.