Le 14 décembre, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne trouvaient un accord en faveur d’une directive sur le devoir de vigilance. Seule l’approbation finale des États membres manquait à ce texte formulant des obligations aux grandes obligations de respect des droits humains et sociaux, ainsi que de l’environnement, concernant leurs filiales et sous-traitants sur le continent et à travers le monde.
Le 28 février, les gouvernements étaient donc sondés sur leur intention de vote par la Belgique, qui assure la présidence tournante de l’UE. Mais l’Allemagne et l’Italie ont annoncé qu’ils s’abstiendraient, tandis que la France, qui a déjà un tel devoir de vigilance dans son droit, n’a pas pris position, affaiblissant d’autant le texte.
Incapable de dégager une majorité qualifiée, le Conseil s’est alors lancé dans une recherche de compromis, dont la nouvelle proposition devrait être présentée devant les États membres ce vendredi.
Lucie Chatelain suit le sujet pour l’association Sherpa, dont l’objet est « de protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques ». Elle fait le point pour l’Humanité.
Que permettrait le vote de cette directive en termes d’obligations pour les multinationales ?
Mise à part la désignation d’une autorité de contrôle, cela n’apporterait que peu de changements pour la France car nous avons déjà une loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017. Les grandes entreprises (de plus de 5000 salariés sur le territoire et 10 000 dans le monde) doivent adopter des mesures de prévention pour éviter les violations de droits humains, les atteintes à l’environnement, à la santé et la sécurité des travailleurs. Avec la directive, des règles similaires s’appliqueraient aux sociétés de toute l’Europe, ainsi qu’à celles d’États tiers qui opèrent sur le continent.
La France a imposé l’exclusion des services financiers de l’obligation générale de vigilance. Qu’est-ce que cela signifie ?
Dans la proposition initiale de la Commission, les entreprises étaient contraintes sur l’ensemble de leur chaîne de valeur (société mère, fournisseurs, filiales, sous-traitants, clients), à la fois en amont et en aval. À la suite des négociations, l’aval de la production a été significativement réduit du champ d’application et les services financiers ne sont plus concernés.
Une banque devra ainsi être vigilante dans ses achats de fournitures (du papier pour imprimante par exemple) mais pas pour les projets qu’elle finance, pourtant facteurs importants d’atteintes aux droits humains. À mon sens, la nouvelle version du texte proposée aux États membres est encore affaiblie alors même que le compromis de décembre n’était pas très ambitieux.
Comment expliquer le double jeu de la France ?
En façade, la France comptait parmi les États membres qui soutenaient cette proposition. Mais une fois autour de la table des négociations, elle a exploité l’incertitude créée par le retrait du soutien de l’Allemagne pour imposer de nouvelles conditions comme le rehaussement des seuils. Le nombre d’entreprises concernées s’est considérablement réduit puisque l’on est passé d’entreprises de 500 salariés avec au moins 150 millions de chiffres d’affaires à 1 000 salariés et 300 millions de chiffres d’affaires.
Tout cela a semé beaucoup de confusion. On sent la présence de pressions de la part des représentants des lobbies économiques comme le MEDEF et la CPME. Le gouvernement soutient qu’il cherche « des voies de compromis », mais ce discours est contredit par toutes les sources à Bruxelles qui indiquent que l’ambivalence de la France a contribué à torpiller le texte.
Qu’attendez-vous de la France pour le vote de vendredi ?
On rentre dans la dernière ligne droite. Cette semaine se joue potentiellement la dernière possibilité de faire adopter ce texte avant les élections européennes. Nous demandons à la France de soutenir clairement la directive, de cesser son double-jeu, de ne pas se faire le porte-parole des représentants des entreprises et de tout simplement respecter ses engagements.