Le débat sur la guerre en Ukraine méritait mieux qu’une simplification à outrance. C’est pourtant cette voie qu’a choisi d’emprunter le premier ministre, Gabriel Attal, ce mardi devant l’Assemblée nationale, enfermant de façon binaire la question de l’engagement français dans le soutien à Kiev.
Face à lui, les parlementaires réunis pour se prononcer sur l’accord de sécurité franco-ukrainien, conclu pour dix ans – et d’ores et déjà signé par les deux parties, le 16 février dernier –, avaient, selon le chef du gouvernement, un choix simple à faire. Voter pour cet accord, donc soutenir la résistance ukrainienne face à l’impérialisme russe, ou voter contre et « signifier à ses alliés que la France tourne le dos à son Histoire ».
« Une guerre de position se joue désormais ! a-t-il clamé. Pour la Russie, le temps est un allié. Nous sommes face à un moment décisif. Il n’y a que la détermination pour la tenir en respect. Le reste, ce sont des mots. Les mots de ceux qui pensent que les choses vont se régler seules, les mots de ceux qui ont des affinités anciennes avec une Russie agressive. »
Une autre voie que la guerre
Cet accord, qui comprend un renforcement de la coopération militaire entre la France et l’Ukraine pour un montant de 3 milliards d’euros pour l’année 2024 (après un soutien chiffré à 1,7 milliard en 2022 et 2,1 milliards en 2023), interroge notamment de par la méthode employée par Emmanuel Macron.
Négocié en secret et acté entre le président de la République et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, sans même avoir consulté les parlementaires français en amont, il a été accompagné de déclarations tapageuses. En cause, notamment, les propos d’Emmanuel Macron autour d’un éventuel envoi de troupes françaises sur le sol ukrainien tenus le lendemain : « Il n’y a pas de consensus pour envoyer de manière officielle assumée des troupes au sol. Mais, en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. »
Des mots qui avaient fait bondir ses alliés, notamment allemand et espagnol. Loin de jouer l’apaisement, le président français avait alors exhorté ses partenaires européens à « ne pas être lâches » face à une Russie « inarrêtable ». Des déclarations jugées par beaucoup comme « irresponsables » et qui avaient amené le président du Sénat, Gérard Larcher, à rappeler qu’« on ne peut pas faire de déclaration de guerre sans la soumettre au Parlement ! Là, le Parlement est incontournable, c’est dans la Constitution » !
À la suite de la prise de parole de Gabriel Attal, exigeant des parlementaires qu’ils prennent « leurs responsabilités » pour « éviter le pire », le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, a sommé l’exécutif de porter une autre voie que celle de la guerre.
« Au nom de l’humanité, nous devons tout mettre en œuvre pour qu’elle s’arrête et vite ! a-t-il martelé. Notre responsabilité est plus lourde que jamais. Rien ne justifie que nous engagions notre jeunesse dans une nouvelle folie meurtrière. Ce n’est pas l’accord que vous venez de signer avec l’Ukraine qui peut nous mener vers l’apaisement, au contraire, lui qui prévoit l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et l’Otan, et ne dessine aucune ligne rouge ».
Une position de vote contre l’accord également portée par le député communiste Sébastien Jumel : « L’aide à l’Ukraine est nécessaire, tout comme la solidarité avec le peuple ukrainien. Il faut recouvrer dans le même temps un espace pour trouver le chemin de la paix. Nous assumons donc notre position : oui à la solidarité, non à l’escalade de la guerre ! »
Socialistes et écologistes en soutien au texte
Sur la même ligne, Arnaud Le Gall, député insoumis du Val-d’Oise, a lui aussi appelé à voter contre ce texte au nom de tout son groupe. Dénonçant un « simulacre » de démocratie par ce « vote non contraignant » autour d’un « texte déjà signé », il a tenu à reformuler les termes du débat : « Vous nous demandez de vous faire un chèque en blanc après les déclarations va-t-en guerre du président… Nous le refusons (…). Veut-on se mettre en situation de guerre face à la Russie, puissance nucléaire ? Que la France devienne plutôt une force de proposition et de paix ! »
Mais sur cette question, l’ensemble de la gauche n’a pas avancé uni, loin de là : socialistes et écologistes se sont prononcés en faveur du texte. « Nous sommes des alliés des Ukrainiens, qui, dans cette guerre, ne défendent pas qu’eux-mêmes, mais toute l’Europe ! » a clamé Boris Vallaud, député PS. Une position également justifiée, avant les débats, par son collègue Arthur Delaporte comme un choix en cohérence avec la ligne défendue par Raphaël Glucksmann, tête de liste PS et Place publique pour les européennes : « C’est un choix dans la continuité de nos positions, mais ce n’est pas un quitus pour le président. »
Une ligne partagée par les écologistes, qui dénoncent cependant la « prise de risque » d’Emmanuel Macron liée à ses « élucubrations guerrières » et sa « mise en scène d’une combativité théâtrale ». Malgré tout, Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, a justifié son vote pour l’accord, notamment au nom du respect du droit international : « Nous ne transigeons pas avec la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes lorsqu’il s’agit de faire face à une agression militaire, à des crimes de guerre, à l’attaque d’un autocrate contre nos valeurs. »
À droite, même si « Les Républicains » ont soutenu ce texte « symbolique » et « purement déclaratif », Olivier Marleix a pris ses distances avec les méthodes « aventureuses » du président qui ont, selon lui, créé la « confusion » tout en manquant de « pondération ». Le président du groupe LR demande davantage d’ambition autour de ce débat : « Qui peut penser que le tout-militaire est une fin en soi ? Notre responsabilité face à l’histoire est aussi de préparer demain. Cela suppose de moins parler et de repenser les moyens de notre puissance. »
Un soutien timide qui aura tout de même fait la différence et permis à l’accord d’être voté, en plus de l’abstention du Rassemblement national, soucieux de tenter de faire oublier sa poutinophilie de longue date à quelques semaines du scrutin européen.