C’est la première fois qu’un donneur d’ordre est reconnu coupable dans une affaire de violence policière. Il est 14h15, plusieurs dizaines de personnes ont répondu présentes, ce vendredi 8 mars, à l’invitation de l’avocate Mireille Damiano et de sa cliente, Geneviève Legay. C’est ensemble qu’elles attendent, sur la place du Palais de justice de Nice, l’annonce du verdict qui doit être rendu dans l’affaire qui oppose la militante d’Attac, grièvement blessée, le 23 mars 2019, lors d’une charge policière ultra-violente, contre un groupe de manifestants pacifistes, au Commissaire Souchi. L’avocate se tient un peu à l’écart, la tête penchée sur son téléphone portable.
Des militants du Collectif Mutilés pour l’exemple s’apprêtent à prendre la parole au micro. L’avocate raccroche et rejoint la foule pour s’en saisir la première. « Le commissaire Souchi est condamné à six mois de prison avec sursis pour « complicité de violence par une personne dépositaire de l’autorité publique », annonce-t-elle. La présidente de la chambre correctionnelle de Lyon a qualifié la charge ordonnée par le Commissaire Souchi d’acte de violence ni nécessaire, ni justifié, ni proportionné au regard des circonstances. »
Au début du printemps 2023, le zélé commissaire, avait en effet ordonné à ses hommes de foncer sur un petit groupe de personnes venues protester contre l’arrêté interdisant une manifestation en plein mouvement des Gilets jaunes. Cette interdiction a d’ailleurs été annulée en 2020 par le tribunal administratif, la jugeant disproportionnée. Mais le mal était déjà fait.
La militante alors âgée de 73 ans avait été projetée au sol, sa tête percutant un plot métallique et, inconsciente, devait être hospitalisée plusieurs jours. Des couloirs de la mairie de Nice jusqu’au palais de l’Élysée, les locataires de la République en marche ont tenté de disculper le responsable de ces violences injustifiables. Ils sont allés jusqu’à charger de l’enquête l’épouse du commissaire Souchi, elle aussi « de la maison ».
Emmanuel Macron, Christian Estrosi et le préfet azuréen n’avaient pas hésité à faire porter la responsabilité du drame sur la militante elle-même. Lors de son procès, le commissaire, aujourd’hui directeur adjoint de la police municipal niçoise, a même osé affirmer, sans vergogne : « Je suis humain et féministe. »
Un scandale d’État
Le fait que la justice soit enfin rendue, un 8 mars, journée de combat pour les droits des femmes, est finalement, pour les militants, nombreux à arborer des couleurs pourpres, un joli pied de nez à cette tentative de camouflage, concertée entre toutes les arcanes de la Macronie, d’un scandale d’État.
« Nous nous réjouissons que justice ait été rendue et que le tribunal de Lyon ait suivi les réquisitions du Parquet, a immédiatement réagi Julien Picot, secrétaire départemental du PCF. Force est rendue à la loi dans un État de droit. La morale voudrait que Christian Estrosi ne maintienne pas un homme condamné au poste de directeur adjoint à la sécurité de la ville de Nice afin de ne pas faire peser le discrédit sur l’ensemble de la police municipale. »
Ils sont nombreux, devant le Palais de justice niçois, ce vendredi après-midi, à espérer que le jugement rendu aujourd’hui aboutisse à une véritable prise de conscience des dérives violentes de l’institution policière. « Combien d’affaires étouffées pour une seule condamnation, questionne au micro un représentant du Collectif Mutilés pour l’exemple. L’affaire Geneviève Legay n’est qu’un tout petit bout de l’iceberg. » Et la principale intéressée d’argumenter : « Les collectifs de lutte contre les violences policières comptabilisent, chaque année depuis 2005, 25 jeunes tués, en moyenne, par des policiers. Mon procès a coûté 38 000 euros, comment voulez-vous qu’une famille des quartiers populaires puisse payer une telle somme. Moi-même, sans le soutien d’Attac et de mes avocats je n’aurais jamais pu assumer financièrement un tel procès. »
Ce rassemblement est l’occasion, en tout cas, de dénoncer sans tabou ces violences habituellement passées sous silence. « Une balle de LBD m’a définitivement déformé le crâne, témoigne par exemple Vanessa, victime de tirs policiers en décembre 2018. » « Je ne vois plus rien de mon œil droit, explique, à son tour, Alexandre, encore choqué par le coup de poing en pleine figure que lui a asséné un fonctionnaire de police, lors d’une manifestation marseillaise, le mois dernier. Je suis un défenseur des valeurs républicaines, Je me suis simplement interposé, lors d’une charge, pour protéger un élu municipal qui allait se faire frapper par un agent. »
Une première brèche dans l’impunité systémique des donneurs d’ordres
Pour les soutiens de Geneviève Legay, le verdict rendu ce 8 mars contre le commissaire Souchi est une première brèche dans l’impunité systémique dont profitent les auteurs de ce type de violences. Toutefois, le condamné n’a pas souhaité faire amende honorable. Celui qui a obtenu que cette condamnation ne soit pas inscrite à son casier judiciaire, et d’ainsi pouvoir se maintenir à la tête de la police municipale de Nice où il a été fraîchement nommé, a décidé de faire appel de la décision des juges lyonnais.
Ses conseils estiment que la cour pénale aurait du être déclarée incompétente dans cette affaire relevant, selon eux, de la juridiction administrative… Une posture qui ne fait que confirmer l’absence de conscience républicaine du condamné et de ses soutiens.