Jusqu’à la dernière minute, le doute a plané au Sénat. Mercredi, rien n’indiquait après plus de deux heures trente de débats tendus que la Chambre haute allait voter le projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), en complétant son article 34 avec cette formule : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Et puis, d’un coup, le Sénat, pourtant dominé par la droite et le centre, a fait un pas sans précédent vers l’inscription du droit à l’IVG dans la loi fondamentale, en rejetant l’amendement de Philippe Bas (LR), qui défendait une réécriture du texte.
Sa proposition, coécrite avec Bruno Retailleau, président du groupe LR, visait à supprimer le mot « garantie », à ses yeux inutile et susceptible, selon lui, de créer un « droit opposable » à l’IVG. « Il y aurait donc dans la Constitution des libertés et des droits garantis et d’autres qui ne le seraient pas. (…) Si l’adjectif « garantie » est sans portée, pourquoi l’ajouter ? Et s’il doit en avoir une, il vaut mieux le retirer », a plaidé l’ancien président de la commission des Lois, au motif de défendre « l’équilibre de la loi Veil ».
L’IVG sanctuarisé
Une position qui, si elle avait été suivie, aurait eu pour effet de repousser la convocation d’un Congrès à même de modifier la Constitution. Mais elle n’a fait pas l’unanimité au sein de la droite. Face à ses collègues, la sénatrice LR Elsa Schalck a ainsi lancé : « Notre Constitution a cette force de sanctuariser des principes. Sa force est aussi de savoir s’adapter aux évolutions et aux attentes de notre société. Enfin, sa position au sommet de notre ordre juridique est un rempart à d’éventuelles difficultés qui pourraient effectivement survenir dans le futur. »
L’amendement de Philippe Bas a été rejeté par 214 voix contre, 104 pour. Et celui d’Alain Milon (LR), visant à faire entrer dans la Constitution la clause de conscience permettant à des médecins de refuser de pratiquer un IVG, a lui aussi été rejeté.
Dès lors, plus rien ne semblait se dresser contre le vote du texte, adopté par 267 voix contre 50. Les groupes communiste, socialiste et écologiste ont tous voté pour l’entrée de l’IVG dans la Constitution. « Il était temps d’être au rendez-vous de notre histoire, de répondre. Aujourd’hui, des Polonaises, des Hongroises, des Américaines, des Iraniennes, des Argentines regardent avec admiration la France », a mesuré l’écologiste Mélanie Vogel. « En France, des forces rétrogrades, médiatiques s’organisent pour contester le droit à l’IVG », a insisté le communiste Ian Brossat, qui s’est donc réjoui de voir une nouvelle étape franchie vers une protection supplémentaire de ce droit.
Après son adoption par le Sénat, le projet de loi constitutionnelle peut maintenant être soumis au vote du Congrès. Le président Emmanuel Macron pourrait le convoquer le 4 mars. S’ouvre désormais une nouvelle épreuve pour le gouvernement : trouver une majorité aux trois cinquièmes pour faire adopter ce texte. La bataille politique continue.