L’histoire peut paraître séduisante. De jeunes Français au profil de gendre idéal, à peine sortis des plus grandes écoles, créent une start-up en passe de devenir la championne tricolore de l’intelligence artificielle, concurrente d’OpenAI. Et lundi, ils présentent leur équivalent de ChatGPT4 : Mistral Large, un modèle de langage préentrainé capable d’« atteindre des capacités de raisonnement de très haut niveau », promet le communiqué.
Dans le même temps, ils annoncent un « partenariat » avec Microsoft. « Il s’agit d’une étape importante pour nous, les performances inégalées de ce modèle multilingue continuant à repousser les limites de ce qui est possible avec l’intelligence artificielle de pointe », a déclaré le cofondateur et patron de Mistral AI, Arthur Mensch. Cette IA générative et son robot conversationnel, baptisé Chat, sont ainsi hébergés sur Azure, le cloud de Microsoft. Mais il faut aller lire le Financial Times, qui a interrogé le géant nord-américain, pour en apprendre un peu plus sur les termes de l’accord.
Ainsi on découvre que Microsoft, après avoir investi 13 milliards dans OpenAI, s’est pris une part, au montant non communiqué, du capital de Mistral. La start-up peut, grâce à cet accord, avoir accès à une puissance de calcul dont seuls disposent les Gafam. C’est qu’entraîner et faire tourner au quotidien une IA à large modèle de langage comme Mistral Large ou Chat GPT4 nécessite un investissement en matière d’infrastructures qui se compte en milliards de dollars, et les processeurs dédiés sont en rupture de stock, préemptés par ces mêmes Gafam… D’ailleurs, en marge de cette annonce, Microsoft vient d’annoncer la construction de deux nouveaux centres de données dédiés à l’IA, en Allemagne et en Espagne, pour plus de 5 milliards d’euros.
La souveraineté française en berne
Le partenariat comprendra aussi une collaboration en recherche et développement pour créer des applications pour les gouvernements de toute l’Europe et « utiliser ces modèles d’IA pour répondre aux besoins spécifiques du secteur public ». Microsoft héberge déjà nos données de santé, et voilà qu’il met tranquillement fin à toute velléité de souveraineté européenne en matière d’IA.
D’autant que, chez Mistral, on retrouve en lobbyiste en chef et cofondateur Cédric O, ancien secrétaire d’État chargé du numérique, fervent opposant à toute régulation de l’IA (même s’il disait le contraire lorsqu’il était au gouvernement), toujours membre du comité de l’intelligence artificielle générative auprès des services du premier ministre…
Avec ce partenariat, Mistral a aussi discrètement remballé ses principes sur l’Open Source qui guidaient ses premiers modèles. Le meilleur moyen alors, selon l’entreprise, de garantir leur flexibilité et leur indépendance. Mais Mistral Large est aujourd’hui privatif. Si on sait que le modèle est préentrainé dans cinq langues, on ne sait pas par qui.
Est-ce par les mêmes travailleurs que ceux employés chez des prestataires dans des pays du Sud (Kenya, Bangladesh…) pour muscler ChatGPT ? L’entreprise, qui n’a qu’une trentaine de salariés, préfère communiquer sur sa valorisation estimée à 2 milliards d’euros. À son capital, on retrouve désormais, aux côtés des français BNP et CMA-CGM, Microsoft, les fondateurs de Google et Salesforce.