L’imam Mahjoub Mahjoubi a été expulsé vers la Tunisie mercredi 22 février, moins de douze heures après son arrestation à son domicile. L’arrêté ministériel signé de la main de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, évoque « une conception littérale, rétrograde, intolérante et violente de l’islam », tenue lors de prêches donnés à la mosquée de Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, « de nature à encourager des comportements contraires aux valeurs de la République, la discrimination à l’égard des femmes, le repli identitaire, les tensions avec la communauté juive et la radicalisation djihadiste ».
Enquête pour « apologie du terrorisme »
Selon ce même document, le religieux aurait plusieurs fois présenté « les femmes comme étant inférieures, faibles et vénales, devant être guidées et contrôlées par les hommes et pouvant être séquestrées au nom de la religion ». Mahjoub Mahjoubi aurait, de plus, désigné « les Juifs comme étant les ennemis historiques des musulmans et des alliés de l’Antéchrist ».
Le parquet de Nice avait d’ores et déjà indiqué, lundi 19 février, que l’imam faisait l’objet d’une enquête pour « apologie du terrorisme », suite à trois signalements, courant novembre, et à un prêche diffusé sur les réseaux sociaux dans lequel il qualifie le drapeau tricolore de « drapeau satanique » qui n’a « aucune valeur auprès d’Allah ».
Pour Gérald Darmanin, l’exécution manu militari de son arrêté « est la démonstration que la loi immigration, sans laquelle une telle expulsion aussi rapide n’aurait pas été possible, rend la France plus forte ».
Une opération de communication politicienne
En réalité, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers rendait déjà possible l’expulsion rapide d’étrangers bien avant l’adoption de la loi Darmanin. « L’atteinte aux principes républicains est la seule chose qu’ajoute la nouvelle loi comme possibilité de lever la protection quasi absolue dont bénéficient les étrangers parents d’enfants français et résidant depuis de nombreuses années en France, comme c’est le cas de cet imam », précise Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue de droits de l’homme. (LDH).
La vitesse d’exécution de l’arrêté ministériel ressemble surtout à une opération de communication politicienne du ministre de l’Intérieur pour répondre à la multiplication des déclarations de l’extrême droite ces derniers jours. Mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus la responsable de la LDH. « Dans cette affaire, les droits fondamentaux que sont l’accès à la justice et le droit à la vie privée familiale, ne sont pas respectés, pointe Marie-Christine Vergiat. L’expulsion a été réalisée sans possibilité de recours auprès du tribunal administratif. Quoi qu’on pense des propos inacceptables tenus par Mahjoub Mahjoubi, s’ils sont condamnables, c’est à la justice de se prononcer. » Et pour le coup, en cas de jugement, la loi Darmanin aurait pu être brandie puisqu’elle favorise justement des expulsions plus systématiques en cas de condamnation.
Un renforcement du pouvoir administratif
« La façon dont les faits se sont emballés menace l’État de droit, s’inquiète encore la vice-présidente de la LDH. On assiste de plus en plus à un renforcement du pouvoir administratif au détriment du pouvoir judiciaire. Les décisions d’un ministre de l’Intérieur ou des préfets ne devraient pas prévaloir sur celles de la justice. » Ces pratiques instaurent, en outre, une forme de double peine pour les étrangers. Eric Zemmour, par exemple, a récemment été condamné pour appel à la haine. Récidiviste en la matière, il n’a écopé que d’une amende, là où, pour le même délit et sans passer par la case justice, Mahjoub Mahjoubi est banni du territoire. En fin de compte, en s’appuyant sur des cas extrêmement difficiles à défendre – car les propos de l’imam sont bel et bien scandaleux – l’exécutif nous habitue à des pratiques qui fragilisent les principes républicains régissant notre société.