Mellionnec (Côtes-d’Armor), envoyée spéciale.
Pour les bouddhistes, les mandalas symbolisent l’illumination de l’esprit. Si Gisèle Garreau en a suspendu quelques-uns au toit de sa yourte, posée à côté d’un potager au cœur du village de Mellionnec (Côtes-d’Armor), c’est simplement parce qu’elle apprécie l’éclat joyeux de leurs couleurs. Atteinte de Parkinson, l’ex-agricultrice de 63 ans a ouvert les yeux sur les origines de sa maladie grâce à une amie.
« Pendant une manifestation contre la réforme des retraites, en 2019, elle a pris un tract du collectif de soutien aux victimes des pesticides et m’a dit : “On dirait toi.” Ce n’était pas du tout facile à admettre, soupire-t-elle. J’ai eu l’impression de trahir le milieu dont je suis issue. Le monde paysan, je l’ai dans mes tripes. »
D’aussi loin qu’elle se souvienne, la native de Loire-Atlantique a été en contact avec ce que l’on appelle aujourd’hui les produits phytosanitaires. Sans avoir jamais conscience du danger. Dans l’exploitation maraîchère de ses parents, elle participait aux labeurs des champs.
« Avec un soufflet, je pulvérisais les pommes de terre. Le produit passait par la respiration mais aussi la peau. Ma sœur a beaucoup travaillé avec eux. Elle aussi a la maladie de Parkinson », explique-t-elle. Un temps salariée agricole, elle saute le pas en 1988 et s’installe avec son mari pour produire du fromage de chèvre. « Le technicien de la coopérative passait et nous disait de traiter. On utilisait du Gramoxone pour désherber l’enclos. »
10 ans pour faire reconnaître sa maladie
Au milieu des années 1990, les discours sur la protection de l’environnement fleurissent. Gisèle et son époux se convertissent en bio. « Pas pour notre santé, on n’y pensait pas. On ne voulait juste plus de cette agriculture-là, de cette course à la productivité. À l’époque, la roténone, servant d’insecticide, était autorisée. Je la mélangeais avec de l’huile de menthe. On vérifiait ensuite que ça collait bien sur les feuilles de féverole (plante pour nourrir les chèvres – NLDR). Je trouvais que ça sentait bon. » Le produit, toxique, a depuis été interdit.
À 40 ans passés, cette mère de quatre enfants s’effondre. Souffrant de fatigue chronique et de douleurs musculaires, elle n’a même plus le tonus nécessaire pour couper sa viande. Pris à la gorge, le couple vend sa ferme. Devenue acupunctrice, c’est en 2009 que les premiers tremblements arrivent. Avant « le coup sur la tête » du diagnostic, deux ans plus tard.
Le sourire aux lèvres, la sexagénaire n’a, en ce moment, presque plus de soubresauts grâce à la pause de deux électrodes dans son cerveau. Mais les embûches administratives ne lui laissent aucun répit. Sa reconnaissance de maladie professionnelle entamée en 2019 n’a pas été une mince affaire. « Elle est rejetée une première fois, puis une seconde auprès du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) », précise-t-elle. Après un recours devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, elle obtient gain de cause en 2022.
Pendant que sa chienne labrador, Iris, dort à côté du poêle à bois, ouvrant parfois les yeux pour gober une mouche, Gisèle accuse encore le coup de son voyage à Paris. Le 5 février, elle était venue témoigner lors d’un colloque sur les pesticides et l’amiante organisé au Sénat par les mutuelles.
218 euros par mois
En parallèle, l’ancienne paysanne se bat toujours pour faire valoir ses droits. « Le médecin-conseil de la Sécu m’avait défini un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 67 %. Mais le collège médical du fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP) a considéré qu’il n’était que de 25 %, ce qui correspond à une tendinite à l’épaule ! Je ne touche que 218 euros de rente par mois. » La sexagénaire a dû contester cette décision. « Sans le soutien juridique et humain du collectif des victimes des pesticides de l’Ouest, je n’aurais jamais réussi à faire toutes ses démarches », assure-t-elle.
Pour cette amoureuse du grand air, chaque balade dans la nature constitue désormais un défi. Sa perte de dextérité complique aussi la fabrication de bijoux à base de perles et de tissus, une autre de ses passions. Quand la retraitée a entendu l’annonce de la suspension du plan Ecophyto par le gouvernement, elle l’a vécu comme une déflagration.
« J’ai trouvé ça criminel, dénonce-t-elle. Cela profite aux entreprises de pesticides et aux gros agriculteurs comme les céréaliers. Personne ne peut plus dire qu’on ne connaît pas les risques. Certains paysans se posent des questions mais n’osent pas parler. Ils font partie d’un système où tout est imbriqué. »
Posés sur le toit de sa yourte, des oiseaux ne cessent de siffloter. Dans ce cocon, installée au sein d’un collectif de vie qui compte neuf personnes dont un de ses fils, Gisèle aspire juste à poursuivre sa croisade pour le respect du vivant sous toutes ses formes.